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le temps de se sauver. Tous les coups se dirigent sur lui, il ne tarde pas à être atteint d’une balle, il est blessé grièvement, il surmonte sa douleur, recueille ses forces ; une châtaigneraie l’aide à se dérober à la vue des républicains, il se soutient à peine, il cherche à se diriger vers le bois de Misdon pour parler une dernière fois à ses amis, son frère René arrive suivi des chouans, on place Jean Chouan sur un drap de lit et on le transporte dans le bois de Misdon à l’endroit appelé la Place royale, on l’appuie contre un arbre, et Jean Chouan se sachant frappé à mort remercie Dieu de pouvoir adresser une dernière fois la parole aux combattants, il leur demande de rester fidèles à leur Roi et à leur religion et leur désigne Delière pour le remplacer. Et après une longue agonie il expire.

La scène est très émouvante, les discours in extremis de Jean Chouan sont très dramatiques. Nous n’avons pu que les signaler. Mais il est curieux de rapprocher la poésie du récit auquel Victor Hugo a emprunté des détails.

Un coteau dominait cette plaine, et derrière
Ce monticule nu, sans arbre et sans gazon.
Les farouches forêts emplissaient l’horizon.

C’est bien exactement le paysage ; les chouans se dispersent dans les bois, c’est alors que Jean Chouan entend le cri de la femme de René :

Tout à coup on entend un cri dans la clairière.
Une femme parmi les balles apparaît.
Toute la bande était déjà dans la forêt,
Jean Chouan seul restait ; il s’arrête, il regarde.
C’est une femme grosse, elle s’enfuit, hagarde
Et pâle, déchirant ses pieds nus aux buissons ;
Elle est seule ; elle crie : « À moi, les bons garçons ! »

Jean Chouan sent qu’elle est perdue s’il ne paye pas de sa personne, il monte sur le coteau et s’offre comme cible aux coups des bleus.

« Sauve-toi !

Cria-t-il, sauve-toi, ma sœur ! » Folle d’effroi,
Jeanne hâta le pas vers la forêt profonde.

Victor Hugo a suivi scrupuleusement le récit jusque-là ; le dénouement dans la poésie est plus brusque lorsque Jean Chouan reçoit une balle dans le ventre :

Il resta droit, et dit : « Soit, ave Maria !
Puis, chancelant, tourné vers le bois, il cria :
« Mes amis ! mes amis ! Jeanne est-elle arrivée ? »
Des voix dans la forêt répondirent : « Sauvée ! »
Jean Chouan murmura : « C’est bien ! » et tomba mort.

LE DRAME DE QUATREVINGT-TREIZE

Victor Hugo avait donné à Paul Meurice l’autorisation de tirer de son roman un drame qui fut représenté à la Gaîté, Les directeurs du théâtre étaient MM. Larochelle et Debruyère. Le drame était divisé en quatre actes et douze tableaux et reproduisait les principaux épisodes du livre : le bois de la Saudraie, le carnichot, le massacre dans le hameau d’Herbe-en-Pail, le cabaret de la rue du Paon, la prise de Dol, l’assaut de la Tourgue, les trois enfants dans la Tourgue, l’incendie, la cour martiale, le chemin creux conduisant à l’échafaud. La distribution comprenait les plus grands artistes de l’époque.

Cimourdain : Dumaine ; Lantenac : Clément Just ; Gauvain : Romain ; Radoub : Paulin Ménier ; l’Imânus : Taillade ; le Caïmand : Talien ; la Flécharde : Mme Marie Laurent.

On lit dans les carnets de Victor Hugo :

18 décembre 1881. J’ai donné à dîner aux principaux comédiens qui joueront 93 (Mme Marie Laurent, Gabrielle Gautier, MM. Dumaine, Paulin Ménier, Taillade, Clément Just).

22 décembre. Répétition de Quatrevingt-treize. Je suis très content.

26 décembre. Représentation de Quatrevingt-treize, mis en scène par Paul Meurice. J’y vais. (Voir les journaux.)