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arrive même d’en dresser le catalogue. Si parfois il ne mentionne pas l’origine de ses documents, il comble la lacune par un renseignement dans ses carnets ; et dans sa bibliothèque sont alignés nombre de volumes, tout remplis de signets de papier, au haut desquels sont inscrits quelques mots résumant les pages du texte consulté. Victor Hugo, loin de faire mystère, comme on l’a dit parfois, des documents qu’il utilisait, mettait au contraire une sorte de coquetterie à les divulguer. Était-ce bien de la coquetterie ? N’était-ce pas plutôt le désir de s’assurer des témoins et des garants de ses récits ? Précaution sage pour ne pas être accusé du délit d’invention qu’on n’aurait pas manqué de lui reprocher, lorsqu’il produisait des faits susceptibles de paraître invraisemblables en raison de leur énormité.

Lorsque Victor Hugo écrivait une œuvre, il plaçait les livres à consulter dans la bibliothèque qui précède le look-out, son cabinet de travail. Lors de notre dernier voyage à Guernesey, en juillet 1913, nous trouvâmes un certain nombre de volumes d’histoire contenant des signets de papier annotés. Parfois, les signets étaient remplacés par des traits ou des accolades à l’encre dans le texte ; ou bien des pages étaient cornées ou pliées, ce qui nous a permis de suivre le travail préliminaire, travail considérable. Nous avons acquis la preuve que, pour son Quatrevingt-treize, Victor Hugo avait lu attentivement un grand nombre de volumes. Il ne fallait rien moins que sa prodigieuse mémoire pour retenir tant de renseignements disséminés, les mettre en relief suivant les besoins de son récit, les coordonner en quelques pages, préciser les marches des combattants à travers les routes de la Vendée, dénombrer tant de personnages en conservant à chacun d’eux son allure, son caractère, et cela sans trahir l’histoire, tout en donnant à l’œuvre d’imagination une part prépondérante. Sans doute il connaissait bien la géographie de la Bretagne et de la Vendée ; il avait sur cette guerre les souvenirs de sa mère ; mais il était difficile de se débrouiller dans ce réseau presque inextricable de combats et d’engagements ; il y avait, en effet, comme il l’a écrit, deux Vendées : « la grande, qui faisait la guerre des forêts ; la petite, qui faisait la guerre des buissons ». Il semble qu’il se soit plus particulièrement attaché à la petite, qui lui fournissait des détails plus colorés, plus pittoresques, plus dramatiques.

Il a négligé la première période de l’insurrection vendéenne dirigée par le marquis de la Rouarie, qui aboutit à de lamentables échecs. L’infortuné, qui devait mourir de maladie — ce qui le sauva de l’échafaud — fut accusé de trahison ; il avait eu l’imprudence de confier son plan à son médecin Latouche qui avertit Danton de la conspiration. Ses complices furent exécutés. Victor Hugo fait allusion à la Rouarie parce qu’il commence son récit à l’époque où l’insurrection se trouvait décapitée. Il fallait un chef pour réparer les fautes de la Rouarie. Dans son roman, Victor Hugo l’appelle le marquis de Lantenac ; dans l’histoire, il se nomme le comte Joseph de Puisaye.

Suivons le travail note par note ; nous verrons ainsi comment le poète a tiré parti des documents historiques :

sources historiques.
Les Mémoires de Joseph de Puisaye.

Victor Hugo a tout d’abord consulté les Mémoires du comte Joseph de Puisaye, lieutenant général, etc., etc., qui pourront servir à l’histoire du parti royaliste français durant la dernière révolution. Ces mémoires ont