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meurt. Est-ce un tyran ? non. Il n’a pas eu le pouvoir. Est-ce un bourreau ? non. Il a rêvé l’échafaud, il ne l’a pas dressé. Est-ce un brigand ? non. Il est seul, pauvre, et il ne répand que de l’encre. Qu’est-ce donc ? c’est un problème. C’est le martyr de ce qu’il éprouve et de ce qu’il inspire ; c’est un despote qui est opprimé ; c’est un médecin qui est malade ; c’est un tourmenteur qui est torturé ; c’est un assassin qui est assassiné. Marat, c’est Marat.

Les siècles finissent par avoir une poche de fiel. Cette poche crève. C’est Marat.

Même victorieux, Marat était funèbre. Le jour de son triomphe, il s’écria : Couronne de laurier sur ma tête, et corde au cou des Girondins !

Marat s’est formé goutte à goutte.

S’irriter contre Marat, c’est s’irriter contre un stalactite.

Regardez cette voûte, c’est l’histoire. Rocher monstre, formation terrible, plafond sinistre du genre humain. C’est de là que Marat a suinté. Un cœur a été composé de ce qui est tombé de Busiris, de ce qui est tombé de Tibère, de ce qui est tombé de Borgia, de ce qui est tombé de Philippe ii, de ce qui est tombé des autodafés, de ce qui est tombé des dragonnades, de ce qui est tombé de Damiens, et le résidu vivant de cette filtration épouvantable, c’est Marat.

Et Hébert ? dira-t-on. Est-ce que ce n’est pas un Marat ? Non. Il y a un abîme entre Hébert et Marat. Hébert est le misérable, Marat est la misère.


Voici un autre développement, dont la conclusion est la même et qui par l’écriture nous semble antérieur de quelques années au dossier précédent.

Danton et Robespierre incarnent la révolution, Robespierre dans sa logique, Danton dans son génie.

Le jour où Robespierre guillotina Danton, le jour où la logique de la révolution en tua le génie, on put prévoir la fin, les flamboiements révolutionnaires sont transparents, le 9 thermidor fut visible, le rendez-vous de l’échafaud put être donné, et Danton put jeter ce cri à Robespierre : Dans trois mois ! Chose redoutable à méditer, Robespierre tuant Danton, c’est un suicide.

Robespierre froid, c’est la logique ; Robespierre s’échauffant devient l’envie. Or la logique ne doit point avoir de passion. Une parallèle ne doit point jalouser l’autre. Robespierre fit cette faute contre la géométrie qui était sa loi, et cette faute le tua. La logique doit être parfaite. Robespierre eut le tort de se sentir homme devant Danton. La destinée, cette justice obscure mystérieusement d’accord avec l’équilibre universel, frappa Robespierre à ce défaut de sa cuirasse : l’envie.

Il y a des hommes événements ; Robespierre et Danton sont de ces hommes-là. Ils personnifient des faits. Ôtez la révolution, Danton et Robespierre n’ont plus de raison d’être. L’histoire les ignorera. Ce seront deux avocats de province, obscurs, l’un déclamant à Arcis-sur-Aube, l’autre chicanant à Arras, à peine éloquents. La révolution les gonfle et en fait deux hommes énormes. Puissance des souffles.

La chicane de Robespierre devient nitre, soufre et vitriol ; la déclamation de Danton devient tonnerre.