Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Victor Hugo avait pris des notes sur les diverses législations, les coutumes, les impôts, enfin l’état des provinces françaises avant la Révolution ; ce ne sont en général que des points de repères à développer et à rédiger ; nous avons choisi ce récit qui peut donner une idée de l’immense travail en préparation :


marseille en 1720.Pendant la peste.

… Toute la ville avait un aspect effrayant. La Cannebière était particulièrement encombrée et lugubre. La largeur de l’espace, la fraîcheur des brises de mer, avaient attiré là beaucoup de familles qui avaient déserté leurs logis. Les fenêtres étaient fermées à presque toutes les maisons ; les unes étaient des espèces de forteresses où quelques vivants se barricadaient dans l’ombre contre l’air, contre le mouvement, contre le souffle des hommes ; les autres étaient des sépulcres pleins de morts. Les habitants campaient en plein air sous des toiles sur le seuil des portes, au pied des arbres, devant l’obélisque des fontaines ; la plupart à peine vêtus, tous pâles, effarés, tremblants de fièvre et d’épouvante. Des femmes toutes nues frissonnaient sur le pavé. Il y avait çà et là des cadavres qu’on laissait pourrir sans linceul ; d’autres sous des draps d’où les mouches sortaient en bourdonnant. Des soldats, le mousquet au poing, écartaient les pestiférés de certaines portes privilégiées ; des moines, le crucifix à la main, parcouraient les groupes et consolaient les agonies. Les râles se mêlaient, et les grincements de dents, et les larmes, et les bras levés au ciel. Des enfants jouaient dans ces horreurs ; il y avait des boutiques sous les arbres comme à une foire, et des gens qui vendaient et qui achetaient. Des hommes passaient transportant des malades sur des civières, des charrettes traversaient la place, traînées par des forçats et chargées de cadavres nus. Des êtres reconnaissaient leurs parents et s’enfuyaient. On n’était plus ni père, ni mère, ni fils, ni mari, ni amant, ni frère ; on était celui qui abandonne ou celui qui est abandonné. On voyait descendre par les croisées des morts liés dans des sacs, pendus par les pieds à une corde, vacillant, heurtés aux corniches et aux angles des murs, secoués par le vent, qu’on jetait dans la rue ; quelquefois deux ensemble aux fenêtres de la même maison. Les galériens ramassaient ces corps, et les dépouillaient, en riant des femmes et des filles. Sur tout cela un ciel bleu et un soleil si étrangement splendide qu’il semblait avoir quelque chose de violent et de sinistre.


faits particuliers.

Un cahier de soixante-dix-huit feuillets portant ce titre : Faits particuliers, contient des notes, prises dans divers historiens ; elles sont classées, à part quelques exceptions, par ordre chronologique, de 1721 à 1755. Nous en citons quelques-unes :

Le chapeau du cardinal Dubois fut vendu par Rome à la France huit millions.