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ménager. Là était la difficulté. Heureusement — bonheur sinistre — la lutte serait surtout d’homme à homme, et à l’arme blanche ; au sabre et au poignard. On se colleterait plus qu’on ne se fusillerait. On se hacherait ; c’était là leur espérance.

L’intérieur de la tour semblait inexpugnable. Dans la salle basse où aboutissait le trou de brèche, était la retirade, cette barricade savamment construite par Lantenac, qui obstruait l’entrée. En arrière de la retirade, une longue table était couverte d’armes chargées, tromblons, carabines et mousquetons, et de sabres, de haches et de poignards. N’ayant pu utiliser, pour faire sauter la tour, le cachot-crypte des oubliettes qui communiquait avec la salle basse, le marquis avait fait fermer la porte de ce caveau. Au-dessus de la salle basse était la chambre ronde du premier étage à laquelle on n’arrivait que par une vis-de-Saint-Gilles très étroite ; cette chambre, meublée, comme la salle basse, d’une table couverte d’armes toutes prêtes et sur lesquelles on n’avait qu’à mettre la main, était éclairée par la grande meurtrière dont un boulet venait de défoncer le grillage ; au-dessus de cette chambre, l’escalier en spirale montait à la chambre ronde du second étage où était la porte de fer donnant sur le pont-châtelet. Cette chambre du second s’appelait indistinctement la chambre de la porte de fer ou la chambre des miroirs, à cause de beaucoup de petits miroirs, accrochés à cru sur la pierre nue à de vieux clous rouillés, bizarre recherche mêlée à la sauvagerie. Les chambres d’en haut ne pouvant être utilement défendues, cette chambre des miroirs était ce que Manesson-Mallet, le législateur des places fortes, appelle « le dernier poste, où les assiégés font leur capitulation ». Il s’agissait, nous l’avons dit déjà, d’empêcher les assiégeants d’arriver là.

Cette chambre ronde du second étage était éclairée par des meurtrières ; pourtant une torche y brûlait. Cette torche, plantée dans une torchère de fer pareille à celle de la salle basse, avait été allumée par l’Imânus, qui avait placé tout à côté l’extrémité de la mèche soufrée. Soins horribles.

Au fond de la salle basse, sur un long tréteau, il y avait à manger, comme dans une caverne homérique ; de grands plats de riz, du fur, qui est une bouillie de blé noir, de la godnivelle, qui est un hachis de veau, des rondeaux de houichepote, pâte de farine et de fruits cuits à l’eau, de la badrée, des pots de cidre. Buvait et mangeait qui voulait.

Le coup de canon les mit tous en arrêt. On n’avait plus qu’une demi-heure devant soi.

L’Imânus, du haut de la tour, surveillait l’approche des assiégeants. Lantenac avait commandé de ne pas tirer et de les laisser arriver. Il avait dit :

— Ils sont quatre mille cinq cents. Tuer dehors est inutile. Ne tuez que dedans. Dedans, l’égalité se refait.