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— Ni les trois frères Logerais.

— Ni monsieur Lechandelier de Pierreville.

— Imbéciles ! dit un vieux sévère à cheveux blancs. Ils ont tout, s’ils ont Lantenac.

— Ils ne l’ont pas encore, murmura un des jeunes.

Le vieillard répliqua :

— Lantenac pris, l’âme est prise. Lantenac mort, la Vendée est tuée.

— Qu’est-ce que c’est donc que ce Lantenac ? demanda un bourgeois.

Un bourgeois répondit :

— C’est un ci-devant.

Et un autre reprit :

— C’est un de ceux qui fusillent les femmes.

Michelle Fléchard entendit, et dit :

— C’est vrai.

On se retourna.

Et elle ajouta :

— Puisqu’on m’a fusillée.

Le mot était singulier ; il fit l’effet d’une vivante qui se dit morte. On se mit à l’examiner, un peu de travers.

Elle était inquiétante à voir, en effet ; tressaillant de tout, effarée, frissonnante, ayant une anxiété fauve, et si effrayée qu’elle était effrayante. Il y a dans le désespoir de la femme on ne sait quoi de faible qui est terrible. On croit voir un être suspendu à l’extrémité du sort. Mais les paysans prennent la chose plus en gros. L’un d’eux grommela : — Ça pourrait bien être une espionne.

— Taisez-vous donc, et allez-vous-en, lui dit tout bas la bonne femme qui lui avait déjà parlé.

Michelle Fléchard répondit :

— Je ne fais pas de mal. Je cherche mes enfants.

La bonne femme regarda ceux qui regardaient Michelle Fléchard, se toucha le front du doigt en clignant de l’œil, et dit :

— C’est une innocente.

Puis elle la prit à part, et lui donna une galette de sarrasin.

Michelle Fléchard, sans remercier, mordit avidement dans la galette.

— Oui, dirent les paysans, elle mange comme une bête. C’est une innocente.

Et le reste du rassemblement se dissipa. Tous s’en allèrent l’un après l’autre.

Quand Michelle Fléchard eut mangé, elle dit à la paysanne :

— C’est bon, j’ai mangé. Maintenant, la Tourgue ?