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LIVRE QUATRIÈME.

LA MÈRE.



I

LA MORT PASSE.

Ce soir-là, la mère, qu’on a vue cheminant presque au hasard, avait marché toute la journée. C’était, du reste, son histoire de tous les jours ; aller devant elle et ne jamais s’arrêter. Car ses sommeils d’accablement dans le premier coin venu n’étaient pas plus du repos que ce qu’elle mangeait çà et là, comme les oiseaux picorent, n’était de la nourriture. Elle mangeait et dormait juste autant qu’il fallait pour ne pas tomber morte.

C’était dans une grange abandonnée qu’elle avait passé la nuit précédente ; les guerres civiles font de ces masures-là ; elle avait trouvé dans un champ désert quatre murs, une porte ouverte, un peu de paille sous un reste de toit, et elle s’était couchée sur cette paille et sous ce toit, sentant à travers la paille le glissement des rats et voyant à travers le toit le lever des astres. Elle avait dormi quelques heures ; puis s’était réveillée au milieu de la nuit, et remise en route afin de faire le plus de chemin possible avant la grande chaleur du jour. Pour qui voyage à pied l’été, minuit est plus clément que midi.

Elle suivait de son mieux l’itinéraire sommaire que lui avait indiqué le paysan de Vantortes ; elle allait le plus possible au couchant. Qui eût été près d’elle l’eût entendue dire sans cesse à demi-voix : — La Tourgue. — Avec les noms de ses trois enfants, elle ne savait plus guère que ce mot-là.

Tout en marchant, elle songeait. Elle pensait aux aventures qu’elle avait traversées ; elle pensait à tout ce qu’elle avait souffert, à tout ce qu’elle avait accepté ; aux rencontres, aux indignités, aux conditions faites, aux marchés proposés et subis, tantôt pour un asile, tantôt pour un morceau de pain, tantôt simplement pour obtenir qu’on lui montrât sa route. Une femme misérable est plus malheureuse qu’un homme misérable, parce qu’elle est instrument de plaisir. Affreuse marche errante ! Du reste, tout lui était bien égal pourvu qu’elle retrouvât ses enfants.