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XI

AFFREUX COMME L’ANTIQUE.

La voix implacable en effet était la voix de Cimourdain ; la voix plus jeune et moins absolue était celle de Gauvain.

Le marquis de Lantenac en reconnaissant l’abbé Cimourdain ne s’était pas trompé.

En peu de semaines, dans ce pays que la guerre civile faisait sanglant, Cimourdain, on le sait, était devenu fameux ; pas de notoriété plus lugubre que la sienne ; on disait : Marat à Paris, Châlier à Lyon, Cimourdain en Vendée. On flétrissait l’abbé Cimourdain de tout le respect qu’on avait eu pour lui autrefois ; c’est là l’effet de l’habit de prêtre retourné. Cimourdain faisait horreur. Les sévères sont des infortunés ; qui voit leurs actes les condamne, qui verrait leur conscience les absoudrait peut-être. Un Lycurgue qui n’est pas expliqué semble un Tibère. Quoi qu’il en fût, deux hommes, le marquis de Lantenac et l’abbé Cimourdain, étaient égaux dans la balance de haine ; la malédiction des royalistes sur Cimourdain faisait contrepoids à l’exécration des républicains pour Lantenac. Chacun de ces deux hommes était, pour le camp opposé, le monstre ; à tel point qu’il se produisit ce fait singulier que, tandis que Prieur de la Marne à Granville mettait à prix la tête de Lantenac, Charette à Noirmoutier mettait à prix la tête de Cimourdain.

Disons-le, ces deux hommes, le marquis et le prêtre, étaient jusqu’à un certain point le même homme. Le masque de bronze de la guerre civile a deux profils, l’un tourné vers le passé, l’autre tourné vers l’avenir, mais aussi tragiques l’un que l’autre. Lantenac était le premier de ces profils, Cimourdain était le second ; seulement l’amer rictus de Lantenac était couvert d’ombre et de nuit, et sur le front fatal de Cimourdain il y avait une lueur d’aurore.

Cependant la Tourgue assiégée avait un répit.

Grâce à l’intervention de Gauvain, on vient de le voir, une sorte de trêve de vingt-quatre heures avait été convenue.

L’Imânus, du reste, était bien renseigné, et, par suite des réquisitions de Cimourdain, Gauvain avait maintenant sous ses ordres quatre mille cinq cents hommes, tant garde nationale que troupe de ligne, avec lesquels il cernait Lantenac dans la Tourgue, et il avait pu braquer contre la forteresse douze pièces de canon, six du côté de la tour sur la lisière de la forêt, en batterie enterrée, et six du côté du pont, sur le plateau en batterie haute. Il avait pu faire jouer la mine, et la brèche était ouverte au pied de la tour.