Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IV.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
QU’IL FALLAIT QUE LA CHAÎNE…

son tour du monde ; à côté du fils de France généralissime, le prince de Carignan, depuis Charles-Albert, s’enrôlant dans cette croisade des rois contre les peuples comme volontaire avec des épaulettes de grenadier en laine rouge ; les soldats de l’empire se remettant en campagne, mais après huit années de repos, vieillis, tristes, et sous la cocarde blanche ; le drapeau tricolore agité à l’étranger par une héroïque poignée de français comme le drapeau blanc l’avait été à Coblentz trente ans auparavant ; les moines mêlés à nos troupiers ; l’esprit de liberté et de nouveauté mis à la raison par les bayonnettes ; les principes matés à coups de canon ; la France défaisant par ses armes ce qu’elle avait fait par son esprit ; du reste, les chefs ennemis vendus, les soldats hésitant, les villes assiégées par des millions ; point de périls militaires et pourtant des explosions possibles, comme dans toute mine surprise et envahie ; peu de sang versé, peu d’honneur conquis, de la honte pour quelques-uns, de la gloire pour personne ; telle fut cette guerre, faite par des princes qui descendaient de Louis XIV et conduite par des généraux qui sortaient de Napoléon. Elle eut ce triste sort de ne rappeler ni la grande guerre ni la grande politique.

Quelques faits d’armes furent sérieux ; la prise du Trocadéro, entre autres, fut une belle action militaire ; mais en somme, nous le répétons, les trompettes de cette guerre rendent un son fêlé, l’ensemble fut suspect, l’histoire approuve la France dans sa difficulté d’acceptation de ce faux triomphe. Il parut évident que certains officiers espagnols chargés de la résistance cédèrent trop aisément, l’idée de corruption se dégagea de la victoire ; il sembla qu’on avait plutôt gagné les généraux que les batailles, et le soldat vainqueur rentra humilié. Guerre diminuante en effet où l’on put lire Banque de France dans les plis du drapeau.

Des soldats de la guerre de 1808, sur lesquels s’était formidablement écroulée Saragosse, fronçaient le sourcil en 1823 devant l’ouverture facile des citadelles, et se prenaient à regretter Palafox. C’est l’humeur de la France d’aimer encore mieux avoir devant elle Rostopchine que Ballesteros.

À un point de vue plus grave encore, et sur lequel il convient d’insister aussi, cette guerre, qui froissait en France l’esprit militaire, indignait l’esprit démocratique. C’était une entreprise d’asservissement. Dans cette campagne, le but du soldat français, fils de la démocratie, était la conquête d’un joug pour autrui. Contre-sens hideux. La France est faite pour réveiller l’âme des peuples, non pour l’étouffer. Depuis 1792, toutes les révolutions de l’Europe sont la révolution française ; la liberté rayonne de France. C’est là un fait solaire. Aveugle qui ne le voit pas ! c’est Bonaparte qui l’a dit.

La guerre de 1823, attentat à la généreuse nation espagnole, était donc en même temps un attentat à la révolution française. Cette voie de fait