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NOTES DE L’ÉDITEUR.

Saint-Denis le récit de faits qui se sont produits en 1851. Victor Hugo a pu s’en inspirer pour son roman au moins pour le chapitre iv du livre douzième lorsqu’il parle de Gavroche, car ce chapitre a été écrit en 1860-1862. Il dit en parlant de ce gamin :

Il (Gavroche) allait de l’un à l’autre, réclamant :

— Un fusil ! Je veux un fusil ! Pourquoi ne me donne-t-on pas un fusil ?

— Un fusil à toi ! dit Combeferre.

— Tiens ! répliqua Gavroche, pourquoi pas ? J’en ai bien eu un en 1830 quand on s’est disputé avec Charles X !

Enjolras haussa les épaules.

— Quand il y en aura pour les hommes, on en donnera aux enfants.

Gavroche se tourna fièrement et lui répondit :

— Si tu es tué avant moi, je te prends le tien.

— Gamin ! dit Enjolras.

— Blanc-bec ! dit Gavroche.

Or, dans les notes publiées dans le Cahier complémentaire (Histoire d’un Crime), la déposition de Barbier, ouvrier corroyeur, mentionne une histoire analogue :

Un jeune homme de 17 ans, intrépide (enfant haut comme cette chaise), qui avait une calotte rouge. (Mourons ! si vous êtes tous comme moi, qu’ils nous trouvent tous là.) Quand la barricade fut escaladée, reçut plus de 150 coups de fusil, cria, courut, tomba, se releva, et mourut. — On lui avait dit vingt fois : donne ton fusil à un homme.

Il répondait : Eh ! un homme qui connaîtra le danger en aura plus peur que moi.

Ne retrouve-t-on pas dans ce court résumé le récit, datant de 1860-1862, de la mort de Gavroche d’une superbe beauté tragique ?

Un autre rapprochement peut être signalé dans cette même quatrième partie (l’épopée rue Saint-Denis), livre douzième, chapitre vii, l’Homme recruté rue des Billettes. On se rappelle que Javert, à la barricade de la rue Saint-Denis, est lié au poteau de la salle du cabaret de Corinthe comme mouchard ; les républicains l’ayant fouillé trouvent sur lui une petite carte avec cette légende d’un côté : Surveillance et vigilance, et de l’autre côté cette mention : Javert, inspecteur de police ; à la page 336 du Cahier complémentaire (Histoire d’un Crime) dans cette édition, on lit l’incident suivant rapporté à Victor Hugo par Benoît, ouvrier cordonnier et membre du comité socialiste :

4 décembre.

On avertit Benoît qu’on veut fusiller quelqu’un, disant : c’est un mouchard. Les gens des fenêtres disaient les uns oui, les autres non. — Benoît le fouille, ne trouve rien sur lui, le fait lier à la barricade au coin des rues Saint-Denis et Rambuteau, et dit : Ajournons l’exécution…

L’homme qu’on voulait fusiller, 38 ans, barbe blonde, pardessus blanc, haute taille, décoré, disait être un ancien capitaine démissionnaire de la 4e légion de la garde de Paris. On finit par trouver sa carte d’agent de police dans le fond de sa culotte. Un enfant indigné lui tire un coup de pistolet qui rate.

Ce récit date de 1851. Or Victor Hugo avait écrit son histoire sur Javert en 1845-1848. À rapprocher le coup de pistolet de l’enfant du coup de pistolet de Thénardier contre Javert et qui rate également.


Nous terminerons cet examen des notes de Victor Hugo par l’étude d’une page écrite sur les deux côtés avec cette indication au coin : « Émeute 2 » sur un côté et « Émeute 3 » et à l’encre rouge : « Comment finit l’émeute » sur l’autre côté. Il y avait évidemment une page « Émeute 1 », mais nous ne l’avons pas. Ces notes sont pressées les unes contre les autres et dans un grand désordre. Elles ont été prises au courant des souvenirs, au fur et à mesure que les faits se présentaient à l’esprit, mais sans suite et sans lien. Nous avons déchiffré ce manuscrit, puis nous nous sommes reportés à la quatrième partie des Misé-