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NOTES DE L’ÉDITEUR.

traire réservé pour être mis en tête de la publication complète de l’ouvrage.

M. Victor Hugo ayant partagé leur avis renonce à joindre ce chapitre aux deux volumes destinés à MM. Gosselin et Renduel et s’engage à ne le publier que plus tard, après leur droit expiré.


Ainsi donc, à l’origine, la première partie du roman devait s’appeler le Manuscrit de l’Évêque. Et cet évêque était Mgr  Miollis. Mais si Victor Hugo dut abandonner ce premier projet, c’est qu’ayant vendu deux volumes seulement de son « grand ouvrage », l’opération commerciale paraissait aux éditeurs peu avantageuse si un « demi-volume » était consacré préalablement à des discussions de dogme et de discipline ecclésiastique. Un petit problème se pose ici. Il est assez malaisé de le résoudre.

Ce Manuscrit de l’Évêque a-t-il existé ? A-t-il été seulement projeté ?

En faveur de la première hypothèse nous avons les termes du traité. Ils semblent assez formels : il est question d’un « chapitre considérable et très étendu… qui n’a pas moins d’un demi-volume » ; on ajoute que Victor Hugo « renonce à joindre ce chapitre aux deux volumes… et s’engage à ne le publier que plus tard ». Il y a là une précision qui paraît bien s’appliquer à une œuvre achevée.

En faveur de la seconde hypothèse nous avons un argument des plus solides : on ne trouve aucune trace du Manuscrit de l’Évêque dans les papiers du poète. Or manuscrits et notes ont toujours été soigneusement conservés par Victor Hugo. Divers projets d’ouvrages avec leurs titres ont été souvent indiqués sans qu’une seule ligne en ait été écrite. C’est que Victor Hugo concevait entièrement une œuvre avant même de commencer à l’écrire. Il avait donc pu en prévoir l’étendue, avertir ses éditeurs que cette première partie formerait un demi-volume, et néanmoins l’avoir vraisemblablement abandonnée.

Que Victor Hugo ait ou n’ait pas écrit le Manuscrit de l’Évêque, il est bien clair que son intention première était de nous présenter Mgr  Myriel au seuil même du roman. Le désir de ses éditeurs modifiait le plan qu’il avait adopté primitivement.

Nous avons expliqué, dans la description du manuscrit, que le roman débutait par le Soir d’un jour de marche et se poursuivait avec les chapitres sur Mgr  Myriel. Le Manuscrit de l’Évêque ayant été écarté, Victor Hugo se décida à intervertir et à placer en tête le livre : Un Juste, jugeant nécessaire, pour que le lecteur puisse bien suivre et vivre la « transformation », puis la « transfiguration » de Jean Valjean, de nous montrer d’abord, dans tout son rayonnement et dans toute sa douceur, cette immortelle figure de monseigneur Bienvenu.

Qu’était-ce que Jean Valjean, qui fut d’abord Jean Tréjean, puis Jean Vlajean ? Le personnage avait-il existé ? Son histoire était-elle vraie ? Y avait-il une part de vérité et une part d’invention ? Jean Valjean était bien un être réel. Il n’était autre que Pierre Maurin, condamné en 1801 à cinq ans de galères pour avoir volé un pain dans la boutique d’un boulanger après effraction d’une grille. Il avait perdu la tête en voyant les sept enfants de sa sœur menacés de mourir de faim ; il s’était, il est vrai, livré à des voies de fait sur le boulanger ; aussi la peine eût été bien plus rigoureuse si le coupable n’avait pu invoquer d’excellents antécédents. Ainsi donc Victor Hugo avait puisé dans un récit vrai les principaux éléments de son drame ; il avait changé le nom du condamné et placé la scène à Faverolles au lieu de Forcalquier. Pierre Maurin fit ses cinq ans et Mgr  Miollis fut l’évêque qui accueillit chez lui le forçat libéré.

Il pouvait être intéressant de connaître en détail toute cette histoire, mais