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LE MANUSCRIT DES MISÉRABLES.

À propos de ce chapitre, citons une note de travail donnant plusieurs variantes du nom de Pontmercy :


Pontchaumont — Pontverdicr. — Pontbéziers. — Pontvitry. — Pontverdan, — Pontbadon. — Pontflorent. —


Au-dessus de tous ces noms Victor Hugo a ajouté le nom définitif, Pontmercy, dont les deux dernières syllabes justifiaient la méprise de Thénardier, méprise expliquée à la troisième partie :


Je n’ai entendu que Merci. J’aurais mieux aimé son nom que son remerciement.


Comme appendice au manuscrit du livre Ier, donnons la description d’un petit carnet de voyage emporté par Victor Hugo dans ses excursions à Waterloo, carnet bien simple, pas même broché, fabriqué sans doute par le poète lui-même avec quelques feuilles de papier à lettres et de papier écolier pliées en deux, sorte de journal contenant des vers pour la Fin de Satan, le relevé des dépenses journalières, des faits personnels, des fragments de dialogue pour les différentes parties des Misérables, mais surtout des notes, presque toutes utilisées, sur Waterloo ; nous en extrairons pourtant quelques-unes inédites.


J’ai passe deux mois à Waterloo. C’est là que j’ai fait l’autopsie de la catastrophe. J’ai été deux mois courhé sur ce cadavre.


Le livre {{Ier}, Waterloo, a donc été, pour ainsi dire, écrit sur place ; Victor Hugo, pendant son séjour à Mont-Saint-Jean, a recommencé pour son propre compte l’inspection du champ de bataille, et, non content du témoignage des historiens qu’il cite, il a voulu voir, ressusciter, vivre par lui-même cette tragique épopée avant de nous la raconter. Il l’a vécue en effet :


Waterloo (17 mai).

Là, je me promené la nuit, je regarde, j’écoute, V effrayant 18 juin revit, des limes d’infanterie ondulent dans la plaine…[1]


Après cette vision, voici en quelques lignes le tableau que le poète a devant les yeux :


Waterloo. — Le champ de bataille — le terrain. Plutôt une série de plateaux qu’une plaine, plutôt des ondulations que des collines ; d’énormes vagues de terre immobiles, mais capables pourtant de tempête, comme cela s’est vu le 18 juin 1815. Çà et là de brusques escarpements, bas, mais âpres, comme on peut en voir encore quelques-uns, quoique la plaine ait été stupidement remaniée, notamment près de Mont-Saint-Jean à droite de la route de Nivelles, et près de la Haie-Sainte, et derrière Rossomme. Un sol marneux, glaiseux, visqueux dans les pluies, qui garde l’eau et fait partout des flasques et des mares. Comme Napoléon mettait pied à terre près de la Belle-Alliance et enjambait un fossé, un grenadier lui cria :

Prenez garde à ce terrain-là, Sire, on y glisse.

On fait plus qu’y glisser, on y tombe.




Plus loin, cette réflexion amère en manière de conclusion :


Rien n’est heureux comme le bonheur. Rien n’a raison comme la victoire. Si

  1. Victor Hugo a repris ce passage sous la forme impersonnelle. (Voir page 50.)