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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

cela cesser son travail ? non pas. L’abdication de l’homme commence-t-elle à la vision de Dieu ? Point. Ce qui commence à ce moment suprême, ce n’est point l’abdication, lâcheté, c’est l’émulation ; une émulation auguste ; la grande joute de la créature avec le créateur. Une peste, par exemple, qu’est-ce ? un phénomène double. Une part à Dieu, une part à l’homme. C’est ici pour l’homme le cas de retirer sa collaboration. Une peste est un avertissement. Habitant, que ton premier soin soit de désinfecter le logis. Il y a une immense hygiène terrestre que le penseur entrevoit, et que l’homme doit au globe.

La météorologie, qui contient une révolution gigantesque, en est à son 89. Elle commence, mais ces commencements-là ont des suites irrésistibles. Le gouvernement de l’atmosphère dans une certaine mesure n’est pas impossible à l’homme. L’homme a évidemment action sur les climats. La dureté ou la douceur de l’automne, la précocité ou le retard de l’hiver dépendent d’une muraille de glace qui se forme ou ne se forme point au nord des continents ; un jour on réglera scientifiquement ces formations ; quand l’homme tiendra les pôles, il tiendra les saisons. Tout progresse. La science poussant ses formules d’un plateau à l’autre, passe du solide au liquide et du liquide au fluide. L’homme commence à comprendre qu’il peut manier les fleuves, régler les torrents, discipliner les cascades, greffer un canal à une rivière, tourner le robinet d’un lac, faire ruisseler l’eau sur la terre à son gré ; un jour, il fera de même ruisseler les nuées. Il sera maître de l’orage comme il est maître de l’écluse ; il commandera les pluies. Le ménage du globe est à peine ébauché. Les lois de cette santé énorme laissent distinguer quelques-uns de leurs linéaments ; mais cela ne suffit pas pour le travail d’ensemble, et notre planète a besoin d’une méthode que l’homme n’a pas encore créée. Défrichement et culture ne doivent point être des jeux de hasard. Sur tel point du globe une forêt est une maladie ; sur tel autre point, elle est un assainissement.

Autre question : la circulation de l’homme sur la terre, correspondante à la circulation du sang dans l’homme. Stagnation, c’est paralysie ; paralysie, c’est mort. Couper un isthme, c’est couper une ligature. La civilisation meurt de l’isthme de Suez et de l’isthme de Panama. La Turquie est une tumeur que la civilisation n’aurait pas sans l’isthme de Suez. Circuler, c’est vivre ; circuler, c’est grandir ; circuler, c’est prospérer.

Autre question : la propreté. Propreté et civilisation sont le même phénomène. Les vermines sont les stimulants de Dieu sur l’homme pour le forcer à laver son corps et à coloniser son globe. Un peuple barbare, c’est une chevelure mal peignée ; un désert est un galetas. Le tigre est identique à la punaise.

Toute culture est possible. On peut cultiver une mouche : témoin l’abeille. L’orient a réussi à domestiquer le lion. Il y a une défalcation à faire dans les forces de la nature ; tout n’y est pas antagonisme et refus. Celles-ci résistent, celles-là offrent leur concours. La tendance manifeste du pondérable et du palpable est d’obéir. L’impondérable est saisi lui-même par la science, et, à l’heure qu’il est, un pan de sa robe fluide frissonne dans la main de l’homme. De certaines rébellions immémoriales, la mer, la flamme, la souffrance charnelle, font peu à peu leur soumission. La boussole, l’amiante, le chloroforme, aident l’homme. Le vent, ce capricieux apparent, ne nous sera réfractaire que jusqu’au jour où une pile de Volta,