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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

Elles font des chemises et du linge pour les prisons et les hôpitaux. On met à la tâche celles qui se montrent molles au travail.

Les visites du dehors sont sévèrement surveillées. Elles ne voient personne qu’au parloir, à travers une double grille recouverte d’un rideau et en présence d’une sœur professe. La même personne ne peut revenir plus d’une fois tous les deux mois. Les sœurs repentantes ne reçoivent aucune lettre qui n’ait été décachetée et n’en écrivent aucune qui n’ait été lue. Souvent on se contente de leur dire : Sœur une telle, on vous a écrit une lettre qu’il n’était pas convenable que vous lussiez.

Une sœur veut-elle écrire, elle demande la permission à la sœur professe qui dirige sa classe. La sœur professe la renvoie à la sœur secrétaire. Si la sœur secrétaire confirme la permission, la lettre est commencée sous ses yeux, mais au bout de deux ou trois lignes, la sœur secrétaire, qui doit souvent surveiller vingt femmes écrivant à la fois, interrompt la lettre, et dit : c’est assez aujourd’hui. Revenez demain. Le lendemain cela recommence, deux lignes encore, et ainsi de suite tous les jours, si bien qu’il faut quinze jours pour écrire une lettre de trente lignes.

Ayez votre fortune compromise, votre enfant malade, votre mère qui se meurt, vous ne fléchirez pas la sœur secrétaire. Elle se bornera à vous répondre : Obéissez, ma sœur. C’est la règle.

Les moindres infractions à la règle sont sévèrement punies. Pour avoir dit un mot dans la classe, pour s’être endormie au sermon, pour avoir souri pendant la récréation, une sœur repentante est mise à genoux pendant quinze jours au réfectoire et à la chapelle, et mange à terre dans une assiette de bois. Si elle retombe en faute, on ajoute à la punition une robe de bure grise, une hotte sur le dos et un crochet de chiffonnière qu’elle est tenue de porter à la main. Il y a des femmes de cinquante ans, qui habitent le couvent depuis vingt-cinq ans, et auxquelles ces punitions presque enfantines sont infligées.

Aucun homme ne pénètre dans le couvent, excepté M. l’archevêque de Paris et le supérieur de l’ordre qui est un prêtre. La supérieure du couvent est élue pour trois ans. Après ces trois années d’autorité absolue, elle redevient simple religieuse et se remet à obéir. Chaque classe a pour supérieure une professe qu’on appelle mère et qui appelle les autres sœur. En 1845, la supérieure de la première classe s’appelait la mère Sainte-Agnès. C’était une femme d’environ soixante-cinq ans, grande, maigre, froide, triste, dure, aux cheveux gris et aux yeux gris, ne souriant jamais.

Toute affection, toute sympathie, toute intimité est interdite aux sœurs repentantes, il leur est défendu d’être seules ou d’être deux. Quand on voit qu’elles se plaisent deux ensemble et qu’elles se cherchent, on leur ordonne de se séparer et on les entoure de cinq ou six sœurs qui ne les quittent jamais. Il faut toujours qu’elles marchent par groupes.

Il leur est défendu de pleurer. Les larmes sont punies par une ou deux heures à genoux, selon l’humeur de la sœur professe.

Il leur est également défendu de rire. Le rire c’est le diable. On les met à genoux.

Les non mariées couchent au dortoir commun. Les femmes mariées ont chacune