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LES MISÉRABLES. — COSETTE.

Car maintenant Cosette riait.

La figure de Cosette en était même jusqu’à un certain point changée. Le sombre en avait disparu. Le rire, c’est le soleil ; il chasse l’hiver du visage humain.

Cosette, toujours pas jolie, devenait bien charmante d’ailleurs. Elle disait des petites choses raisonnables avec sa douce voix enfantine. La récréation finie, quand Cosette rentrait, Jean Valjean regardait les fenêtres de sa classe, et la nuit il se relevait pour regarder les fenêtres de son dortoir.

Du reste Dieu a ses voies ; le couvent contribua, comme Cosette, à maintenir et à compléter dans Jean Valjean l’œuvre de l’évêque. Il est certain qu’un des côtés de la vertu aboutit à l’orgueil. Il y a là un pont bâti par le diable. Jean Valjean était peut-être à son insu assez près de ce côté-là et de ce pont-là, lorsque la providence le jeta dans le couvent du Petit-Picpus. Tant qu’il ne s’était comparé qu’à l’évêque, il s’était trouvé indigne et il avait été humble ; mais depuis quelque temps il commençait à se comparer aux hommes, et l’orgueil naissait. Qui sait ? il aurait peut-être fini par revenir tout doucement à la haine.

Le couvent l’arrêta sur cette pente.

C’était le deuxième lieu de captivité qu’il voyait. Dans sa jeunesse, dans ce qui avait été pour lui le commencement de la vie, et plus tard, tout récemment encore, il en avait vu un autre, lieu affreux, lieu terrible, et dont les sévérités lui avaient toujours paru être l’iniquité de la justice et le crime de la loi. Aujourd’hui après le bagne il voyait le cloître ; et songeant qu’il avait fait partie du bagne et qu’il était maintenant, pour ainsi dire, spectateur du cloître, il les confrontait dans sa pensée avec anxiété. Quelquefois il s’accoudait sur sa bêche et descendait lentement dans les spirales sans fond de la rêverie.

Il se rappelait ses anciens compagnons ; comme ils étaient misérables ; ils se levaient dès l’aube et travaillaient jusqu’à la nuit ; à peine leur laissait-on le sommeil ; ils couchaient sur des lits de camp, où l’on ne leur tolérait que des matelas de deux pouces d’épaisseur, dans des salles qui n’étaient chauffées qu’aux mois les plus rudes de l’année ; ils étaient vêtus d’affreuses casaques rouges ; on leur permettait, par grâce, un pantalon de toile dans les grandes chaleurs et une roulière de laine sur le dos dans les grands froids ; ils ne buvaient de vin et ne mangeaient de viande que lorsqu’ils allaient « à la fatigue ». Ils vivaient, n’ayant plus de noms, désignés seulement par des numéros et en quelque sorte faits chiffres, baissant les yeux, baissant la voix, les cheveux coupés, sous le bâton, dans la honte.

Puis son esprit retombait sur les êtres qu’il avait devant les yeux.