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LES MISÉRABLES. — COSETTE.

s’ajustait au bonnet de Fauchelevent. La sécurité de Fauchelevent était complète.

Au moment où le convoi entra dans l’avenue menant au cimetière, Fauchelevent, heureux, regarda le corbillard et se frotta ses grosses mains en disant à demi-voix :

— En voilà une farce !

Tout à coup le corbillard s’arrêta ; on était à la grille. Il fallait exhiber le permis d’inhumer. L’homme des pompes funèbres s’aboucha avec le portier du cimetière. Pendant ce colloque, qui produit toujours un temps d’arrêt d’une ou deux minutes, quelqu’un, un inconnu, vint se placer derrière le corbillard à côté de Fauchelevent. C’était une espèce d’ouvrier qui avait une veste aux larges poches, et une pioche sous le bras.

Fauchelevent regarda cet inconnu.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

L’homme répondit :

— Le fossoyeur.

Si l’on survivait à un boulet de canon en pleine poitrine, on ferait la figure que fit Fauchelevent.

— Le fossoyeur !

— Oui.

— Vous !

— Moi.

— Le fossoyeur, c’est le père Mestienne.

— C’était.

— Comment ! c’était ?

— Il est mort.

Fauchelevent s’était attendu à tout, excepté à ceci, qu’un fossoyeur pût mourir. C’est pourtant vrai ; les fossoyeurs eux-mêmes meurent. À force de creuser la fosse des autres, on ouvre la sienne.

Fauchelevent demeura béant. Il eut à peine la force de bégayer :

— Mais ce n’est pas possible !

— Cela est.

— Mais, reprit-il faiblement, le fossoyeur, c’est le père Mestienne.

— Après Napoléon, Louis XVIII. Après Mestienne, Gribier. Paysan, je m’appelle Gribier.

Fauchelevent, tout pâle, considéra ce Gribier.

C’était un homme long, maigre, livide, parfaitement funèbre. Il avait l’air d’un médecin manqué tourné fossoyeur.

Fauchelevent éclata de rire.

— Ah ! comme il arrive de drôles de choses ! le père Mestienne est mort.