Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IV.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
LES MISÉRABLES. — COSETTE.

Conception, la mère Présentation, la mère Passion. Cependant les noms de saintes ne sont pas interdits.

Quand on les voit, on ne voit jamais que leur bouche. Toutes ont les dents jaunes. Jamais une brosse à dents n’est entrée dans le couvent. Se brosser les dents, est au haut d’une échelle au bas de laquelle il y a : perdre son âme.

Elles ne disent de rien ma ni mon. Elles n’ont rien à elles et ne doivent tenir à rien. Elles disent de toute chose notre ; ainsi : notre voile, notre chapelet ; si elles parlaient de leur chemise, elles diraient notre chemise. Quelquefois elles s’attachent à quelque petit objet, à un livre d’heures, à une relique, à une médaille bénie. Dès qu’elles s’aperçoivent qu’elles commencent à tenir à cet objet, elles doivent le donner. Elles se rappellent le mot de sainte-Thérèse à laquelle une grande dame, au moment d’entrer dans son ordre, disait : Permettez, ma mère, que j’envoie chercher une sainte bible à laquelle je tiens beaucoup. — Ah ! vous tenez a quelque chose ! En ce cas, n’entrez pas chez nous.

Défense à qui que ce soit de s’enfermer, et d’avoir un chez-soi, une chambre. Elles vivent cellules ouvertes. Quand elles s’abordent, l’une dit : Loué soit et adoré Je Très Saint-Sacrement de l’autel ! L’autre répond : À jamais. Même cérémonie quand l’une frappe à la porte de l’autre. À peine la porte a-t-elle été touchée qu’on entend de l’autre côté une voix douce dire précipitamment : À jamais ! Comme toutes les pratiques, cela devient machinal par l’habitude ; et l’une dit quelquefois à jamais avant que l’autre ait eu le temps de dire, ce qui est assez long d’ailleurs : Loué soit et adoré le Très Saint-Sacrement de l’autel !

Chez les visitandines, celle qui entre dit : Ave Maria, et celle chez laquelle on entre dit : Gratia plena. C’est leur bonjour, qui est « plein de grâce » en effet.

À chaque heure du jour, trois coups supplémentaires sonnent à la cloche de l’église du couvent. À ce signal, prieure, mères vocales, professes, converses, novices, postulantes, interrompent ce qu’elles disent, ce qu’elles font ou ce qu’elles pensent, et toutes disent à la fois, s’il est cinq heures, par exemple : — À cinq heures et a toute heure, loué soit et adoré le Très Saint-Sacrement de l’autel ! S’il est huit heures : — À huit heures et a toute heure, etc., et ainsi de suite, selon l’heure qu’il est.

Cette coutume, qui a pour but de rompre la pensée et de la ramener toujours à Dieu, existe dans beaucoup de communautés ; seulement la formule varie. Ainsi, à l’Enfant-Jésus, on dit : — À l’heure qu’il est et à toute heure que l’amour de Jésus enflamme mon cœur !

Les bénédictines-bernardines de Martin Verga, cloîtrées il y a cinquante