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DÉSAGRÉMENT DE RECEVOIR…

douce et qui était toute composée de ce miel aigre des méchantes femmes, est-ce que tu ne prends pas ta poupée ?

Cosette se hasarda à sortir de son trou.

— Ma petite Cosette, reprit le Thénardier d’un air caressant, monsieur te donne une poupée. Prends-la. Elle est à toi.

Cosette considérait la poupée merveilleuse avec une sorte de terreur. Son visage était encore inondé de larmes, mais ses yeux commençaient à s’emplir, comme le ciel au crépuscule du matin, des rayonnements étranges de la joie. Ce qu’elle éprouvait en ce moment-là était un peu pareil à ce qu’elle eût ressenti si on lui eut dit brusquement : Petite, vous êtes la reine de France.

Il lui semblait que si elle touchait à cette poupée, le tonnerre en sortirait.

Ce qui était vrai jusqu’à un certain point, car elle se disait que la Thénardier gronderait, — et la battrait.

Pourtant l’attraction l’emporta. Elle finit par s’approcher, et murmura timidement en se tournant vers la Thénardier :

— Est-ce que je peux, madame ?

Aucune expression ne saurait rendre cet air à la fois désespéré, épouvanté et ravi.

— Pardi ! fit la Thénardier, c’est à toi. Puisque monsieur te la donne.

— Vrai, monsieur ? reprit Cosette, est-ce que c’est vrai ? c’est à moi, la dame ?

L’étranger paraissait avoir les yeux pleins de larmes. Il semblait être à ce point d’émotion où l’on ne parle pas pour ne pas pleurer. Il fit un signe de tête à Cosette, et mit la main de « la dame » dans sa petite main.

Cosette retira vivement sa main, comme si celle de la dame la brûlait, et se mit à regarder le pavé. Nous sommes forcé d’ajouter qu’en cet instant-là elle tirait la langue d’une façon démesurée. Tout à coup elle se retourna et saisit la poupée avec emportement.

— Je l’appellerai Catherine, dit-elle.

Ce fut un moment bizarre que celui où les haillons de Cosette rencontrèrent et étreignirent les rubans et les fraîches mousselines roses de la poupée.

— Madame, reprit-elle, est-ce que je peux la mettre sur une chaise ?

— Oui, mon enfant, répondit le Thénardier.

Maintenant c’étaient Éponine et Azelma qui regardaient Cosette avec envie.

Cosette posa Catherine sur une chaise, puis s’assit à terre devant elle, et demeura immobile, sans dire un mot, dans l’attitude de la contemplation.