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QUI PEUT-ÊTRE PROUVE L’INTELLIGENCE…

sont fermées, il n’entre pas à l’auberge, et on ne le retrouve plus. Il s’est donc enfoncé dans la terre.

L’homme ne s’était pas enfoncé dans la terre, mais il avait arpenté en hâte dans l’obscurité la grande rue de Chelles ; puis il avait pris à gauche avant d’arriver à l’église le chemin vicinal qui mène à Montfermeil, comme quelqu’un qui eût connu le pays et qui y fût déjà venu. Il suivit ce chemin rapidement. À l’endroit où il est coupé par l’ancienne route bordée d’arbres qui va de Gagny à Lagny, il entendit venir des passants. Il se cacha précipitamment dans un fossé, et y attendit que les gens qui passaient se fussent éloignés. La précaution était d’ailleurs presque superflue, car, comme nous l’avons déjà dit, c’était une nuit de décembre très noire. On voyait à peine deux ou trois étoiles au ciel. C’est à ce point-là que commence la montée de la colline. L’homme ne rentra pas dans le chemin de Montfermeil ; il prit à droite, à travers champs, et gagna à grands pas le bois.

Quand il fut dans le bois, il ralentit sa marche, et se mit à regarder soigneusement tous les arbres, avançant pas à pas, comme s’il cherchait et suivait une route mystérieuse connue de lui seul. Il y eut un moment où il parut se perdre et où il s’arrêta indécis. Enfin il arriva, de tâtonnements en tâtonnements, à une clairière où il y avait un monceau de grosses pierres blanchâtres. Il se dirigea vivement vers ces pierres et les examina avec attention à travers la brume de la nuit, comme s’il les passait en revue. Un gros arbre, couvert de ces excroissances qui sont les verrues de la végétation, était à quelques pas du tas de pierres. Il alla à cet arbre, et promena sa main sur l’écorce du tronc, comme s’il cherchait à reconnaître et à compter toutes les verrues.

Vis-à-vis de cet arbre, qui était un frêne, il y avait un châtaignier malade d’une décortication, auquel on avait mis pour pansement une bande de zinc clouée. Il se haussa sur la pointe des pieds et toucha cette bande de zinc. Puis il piétina pendant quelque temps sur le sol dans l’espace compris entre l’arbre et les pierres, comme quelqu’un qui s’assure que la terre n’a pas été fraîchement remuée.

Cela fait, il s’orienta et reprit sa marche à travers le bois. C’était cet homme qui venait de rencontrer Cosette. En cheminant par le taillis dans la direction de Montfermeil, il avait aperçu cette petite ombre qui se mouvait avec un gémissement, qui déposait un fardeau à terre, puis le reprenait, et se remettait à marcher. Il s’était approché et avait reconnu que c’était un tout jeune enfant chargé d’un énorme seau d’eau. Alors il était allé à l’enfant, et avait pris silencieusement l’anse du seau.