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LE MANUSCRIT DES MISÉRABLES.

M. Madeleine fixa encore une fois sur Javert son regard attentif et pénétrant ; il semblait qu’il cherchât s’il n’y avait pas quelque arrière-pensée sous ce visage probe et sauvage ; mais il n’y trouva rien que de la tristesse et de la bonne foi. Il était évident qu’il avait devant lui un homme vrai et convaincu.

Il dit avec effort :

— Et vous êtes sûr ?

— Oh ! sûr ! si je suis sûr ! Mais d’abord c’est très fâcheux pour moi. Du contrecoup cela me perd. Je voudrais bien ne pas être sûr. Je n’aurais aucune faute, je serais content de moi et je garderais ma place. Si je suis sûr, mon bon Dieu ! Tenez, monsieur le maire, pardon de reparler encore de vous, avec vous je doutais, je disais une fois oui et deux fois non ; j’ai passé bien des mauvaises nuits, allez ! Avec celui-ci je n’hésite pas, c’est lui, c’est clair, je dors sur mes deux oreilles. Et même maintenant que je vois le vrai Jean Tréjean, je ne comprends pas comment j’ai pu croire autre chose ! Je ne vous avais pas dit tous ces détails en commençant parce que je n’étais occupé que de moi et qu’ils ne vous étaient pas bien utiles. Qu’est-ce que cela vous fait à vous ? Vous n’avez pas besoin qu’on vous prouve que vous n’êtes pas Jean Tréjean ?

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[Je vais aller pour témoigner. Je suis cité][1].


L’avocat général est très bon. C’est un garçon d’esprit, qui fait des vers.

Javert, en prononçant ces dernières paroles, paraissait presque avoir oublié un moment sa tristesse.

Énumérer les chances d’une condamnation lui était agréable et le soulageait visiblement. Cette nature d’espérance convenait à l’espèce de cœur qu’il avait.

— Tenez, monsieur le maire, reprit-il, vous ne pouvez pas vous figurer ! Si vous aviez connu Jean Tréjean et si vous voyiez ce Champmathieu, vous seriez frappé, vous diriez....................

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[Sitôt ma déposition faite, je reviendrai ici.

— C’est bon, dit Madeleine][2].


Faites toujours le plus pressé de ce que je vous recommande. Et voici la note que je viens d’écrire pour vous.

En parlant ainsi, les yeux toujours sur sa table, il tendait à Javert un papier. Javert ne le prit pas, et M. Madeleine entendit sa voix grave qui disait :

— Monsieur le maire oublie que je ne suis plus rien.

M. Madeleine se leva.

— Javert, vous êtes un homme d’honneur et je vous estime. Votre conduite d’aujourd’hui prouve, à votre louange, que, si vous êtes sévère pour autrui, vous l’êtes aussi pour vous-même. Maintenant voici ce que j’ai à vous dire de cette faute

  1. Voir p. 218. Feuillet 311 du manuscrit.
  2. Voir p. 218.