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LE MANUSCRIT DES MISÉRABLES.

rellement explique, on eût pu croire que le peuple, qui aime les figures, s’était plu à appeler Alouette ce petit être pas plus gros qu’un oiseau (Voir p. 165.)


Au dos du feuillet 263, le brouillon du manuscrit primitif s’enchaîne avec les ratures du feuillet 267, commençant actuellement le premier chapitre du livre V. Nous donnons ce brouillon sous sa première forme sans interruption :


Cependant la mère, de son côté, n’était pas moins à plaindre. Cette Marguerite Louet, qui savait juste assez écrire pour signer Margeritte[1] était une pauvre fille du peuple. Elle était née à M. sur M. De quels parents ? Qui pourrait le dire ? On ne lui avait jamais connu ni père ni mère. À quinze ans elle vint à Paris « chercher fortune », comme on dit. Marguerite Louet était belle et resta sage le plus longtemps qu’elle put. Elle travailla pour vivre ; puis, pour vivre aussi, elle aima. Hélas ! qui est-ce qui prend ces amours-là au sérieux ? Elle aima un vif et gracieux jeune homme. Cet étudiant, lorsque son cours fut fini, la quitta, comme nous l’avons dit, un beau jour, en haussant les épaules d’un enfant qu’elle avait. Cet amant, quinze ans plus tard, sous le roi Louis-Philippe, était un gros avoué de province, riche et considéré, électeur sage et juré très sévère.

Le travail vint à manquer. C’est une poignante parole qu’il faut souvent répéter dans notre société encore mal faite. Nous l’avons déjà dite ; nous aurons à la redire plus d’une fois. Marguerite tomba dans la détresse. Elle eut l’idée d’aller dans sa ville natale, à M. sur M., « chercher fortune ». Elle vendit tout ce qu’elle avait, ce qui lui produisit un peu plus de quatrevingts francs.

À vingt-deux ans, elle quitta Paris, emportant son enfant sur son dos. C’était un groupe triste. Cette femme n’avait au monde que cet enfant, et cet enfant n’avait que cette femme. Comme Marguerite avait nourri sa fille, cela lui avait fatigué la poitrine, et elle toussait un peu.

On vient de voir de quelle façon elle avait laissé sa petite Anna à Montfermeil.

Marguerite avait continué son chemin et était arrivée à M. sur M. Personne ne l’y connaissait plus.

Depuis cinq ans surtout, le petit pays avait en quelque sorte changé d’aspect. Tandis que Marguerite descendait lentement de misère en misère, sa ville natale avait prospéré, une industrie nouvelle y était née et s’y était développée. (Voir p. 167.)


LIVRE V. — LA DESCENTE.


Feuillet 266. — Table des chapitres. — Le livre V devait d’abord s’intituler : Histoire d’un progrès dans l’industrie des verroteries noires. Victor Hugo a plus tard donné ce titre au premier chapitre, en l’écrivant en surcharge sur l’ancien titre, plus explicite :

Par quel incident on peut être dispensé de montrer son passeport.


  1. Cette signature est attribuée à la vieille voisine de Fantine. Livre V, chapitre ix.