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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

Cependant les poissons vont et viennent encore ; une nappe d’environ deux mille mètres d’épaisseur appartient aux colosses étranges de l’eau, fourmillement confus de ces transparences, aux squales, aux requins, aux poulpes, aux krakens, à Léviathan, à Céto, des formes épouvantables glissent çà et là, et les hydres se meuvent crépusculairement dans cet invisible. Plongez plus bas. Cette zone dépassée, l’eau devient lugubre. Plus rien. L’esprit — car l’esprit seul pénètre dans ces précipices — ne perçoit plus un seul frémissement d’être animé. Partout, en haut, en bas, en avant, en arrière, une lame de verre, liquide et immobile. Vous êtes dans l’unité de l’eau. Ceci est l’eau toute seule, chose horrible. Descendez encore pourtant ; et tout à coup, sans que vous en soyez déjà à apercevoir le fond, toute la mer qui est au-dessus de vous vous apparaît comme une masse distincte, et vous croyez voir le dessous d’une incommensurable nuée. C’est une nuée en effet que forme au-dessus du fond inconnu toute cette première épaisseur d’océan, et de cette nuée il tombe, dans la seconde épaisseur, une pluie. Quelle pluie ? Une pluie vivante. Une pluie d’animalcules. Ici apparaît le mystère. L’immensité microscopique se démasque. Le tremblement de la création vous saisit. On pourrait dire que c’est à l’infiniment petit que commence l’énormité de la mer. La mer a son produit, c’est le foraminifère ; l’océan secrète l’infusoire. La molécule et la cellule, ces deux limites de la vision microscopique, tellement abstruses que la cellule animale n’est pas distincte de la cellule végétale, ce Calpe et cet Abyla de l’infiniment petit, engendrent, en se combinant avec toutes les forces obscures en suspension dans l’océan, un être imperceptible. Que fait cet être ? il bâtit sous l’eau des continents.

La fonction de cet atome, c’est de remplacer à un moment donné les Europes, les Asies, les Afriques et les Amériques que vous avez à cette heure sous les pieds.

Il est l’extrême ouvrier de l’œuvre inouïe.

Là où semble finir la vie sous-marine, il naît, il charge le bas du nuage monstrueux des vagues, et, sans cesse et à toute minute, et jour et nuit, il en tombe innombrablement, immense pluie éternelle.

Analogies vertigineuses ! il neige sur le haut des montagnes, il pleut sur le fond de l’océan. Seulement ce qui neige au haut des montagnes, c’est de la mort ; ce qui pleut au fond de la mer, c’est de la vie.


À présent, comment sait-on cela ?

Qui a vu ces choses ? quel plongeur est allé regarder là ? La sonde.