Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome III.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
LES MISÉRABLES. — FANTINE.

Fantine ne murmura pas, elle craignit d’avoir compromis par quelques plaintes trop passionnées la confiance qu’elle voulait inspirer, et elle se mit à dire des paroles indifférentes.

— C’est assez joli, Montfermeil, n’est-ce pas ? L’été, on va y faire des parties de plaisir. Ces Thénardier font-ils de bonnes affaires ? Il ne passe pas grand monde dans leur pays. C’est une espèce de gargote que cette auberge-là.

M. Madeleine lui tenait toujours la main, il la considérait avec anxiété ; il était évident qu’il était venu pour lui dire des choses devant lesquelles sa pensée hésitait maintenant. Le médecin, sa visite faite, s’était retiré. La sœur Simplice était seule restée auprès d’eux.

Cependant, au milieu de ce silence, Fantine s’écria :

— Je l’entends ! mon Dieu ! je l’entends !

Elle étendit le bras pour qu’on se tût autour d’elle, retint son souffle, et se mit à écouter avec ravissement.

Il y avait un enfant qui jouait dans la cour ; l’enfant de la portière ou d’une ouvrière quelconque. C’est là un de ces hasards qu’on retrouve toujours et qui semblent faire partie de la mystérieuse mise en scène des événements lugubres. L’enfant, c’était une petite fille, allait, venait, courait pour se réchauffer, riait et chantait à haute voix. Hélas ! à quoi les jeux des enfants ne se mêlent-ils pas ! C’était cette petite fille que Fantine entendait chanter.

— Oh ! reprit-elle, c’est ma Cosette ! je reconnais sa voix !

L’enfant s’éloigna comme il était venu, la voix s’éteignit, Fantine écouta encore quelque temps, puis son visage s’assombrit, et M. Madeleine l’entendit qui disait à voix basse : — Comme ce médecin est méchant de ne pas me laisser voir ma fille ! Il a une mauvaise figure, cet homme-là !

Cependant le fond riant de ses idées revint. Elle continua de se parler à elle-même, la tête sur l’oreiller : — Comme nous allons être heureuses ! Nous aurons un petit jardin, d’abord ! M. Madeleine me l’a promis. Ma fille jouera dans le jardin. Elle doit savoir ses lettres maintenant. Je la ferai épeler. Elle courra dans l’herbe après les papillons. Je la regarderai. Et puis elle fera sa première communion. Ah çà ! quand fera-t-elle sa première communion ?

Elle se mit à compter sur ses doigts.

— … Un, deux, trois, quatre,… elle a sept ans. Dans cinq ans. Elle aura un voile blanc, des bas à jour, elle aura l’air d’une petite femme. Ô ma bonne sœur, vous ne savez pas comme je suis bête, voilà que je pense à la première communion de ma fille !

Et elle se mit à rire.