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LES MISÉRABLES. — FANTINE.

Il vit au-dessous de lui deux étoiles rouges dont les rayons s’allongeaient et se raccourcissaient bizarrement dans l’ombre.

Comme sa pensée était encore à demi submergée dans la brume des rêves, — tiens ! songea-t-il, il n’y en a pas dans le ciel. Elles sont sur la terre maintenant.

Cependant ce trouble se dissipa, un second bruit pareil au premier acheva de le réveiller, il regarda, et il reconnut que ces deux étoiles étaient les lanternes d’une voiture. À la clarté qu’elles jetaient, il put distinguer la forme de cette voiture. C’était un tilbury attelé d’un petit cheval blanc. Le bruit qu’il avait entendu, c’étaient les coups de pied du cheval sur le pavé.

— Qu’est-ce que c’est que cette voiture ? se dit-il. Qui est-ce qui vient donc si matin ?

En ce moment on frappa un petit coup à la porte de sa chambre. Il frissonna de la tête aux pieds, et cria d’une voix terrible :

— Qui est là ?

Quelqu’un répondit :

— Moi, monsieur le maire.

Il reconnut la voix de la vieille femme, sa portière.

— Eh bien, reprit-il, qu’est-ce que c’est ?

— Monsieur le maire, il est tout à l’heure cinq heures du matin.

— Qu’est-ce que cela me fait ?

— Monsieur le maire, c’est le cabriolet.

— Quel cabriolet ?

— Le tilbury.

— Quel tilbury ?

— Est-ce que monsieur le maire n’a pas fait demander un tilbury ?

— Non, dit-il.

— Le cocher dit qu’il vient chercher monsieur le maire.

— Quel cocher ?

— Le cocher de M. Scaufflaire.

— M. Scaufflaire ?

Ce nom le fit tressaillir comme si un éclair lui eût passé devant la face.

— Ah oui ! reprit-il, M. Scaufflaire.

Si la vieille femme l’eût pu voir en ce moment, elle eût été épouvantée.

Il se fit un assez long silence. Il examinait d’un air stupide la flamme de la bougie et prenait autour de la mèche de la cire brûlante qu’il roulait dans ses doigts. La vieille attendait. Elle se hasarda pourtant à élever encore la voix :

— Monsieur le maire, que faut-il que je réponde ?

— Dites que c’est bien, et que je descends.