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NOTES DE L’ÉDITEUR.

rendre compte de Notre-Dame ; il le fit, comme l’Avenir, en deux articles :

Notre-Dame de Paris est un roman de fantaisie, d’imagination si vous aimez mieux, de poésie, d’art, car je tiens à justifier mon mot de fantaisie. À ne considérer ce roman que comme ouvrage de style, c’est une chose prodigieuse, pour tout homme qui connaît quelque peu les ressources et les bornes de notre langue, que de voir cette immense variété de tournures, de métaphores, d’images appliquées non seulement à tous les ordres d’idées, mais très souvent aux idées du même ordre, et quelquefois aux mêmes idées ; de telle sorte que la même chose y est représentée de dix façons différentes, toutes poétiques, toutes étincelantes, et la dernière aussi neuve que la première. Ajoutez à cela une synonymie d’une richesse incomparable ; toutes les épithètes de la vieille et de la nouvelle langue amoncelées à la suite de chaque objet décrit, dans l’ordre et selon la gradation indiqués par leurs nuances, de façon à faire entrer l’objet sous toutes ses faces dans la pensée du lecteur ; toutes les ressources enfin d’un langage riche, énergique, efflorescent, qui semble parler aux yeux en même temps qu’à l’esprit, et qui fait tableau lui-même à côté des scènes qu’il décrit. Je le répète, comme langue, Notre-Dame de Paris est un ouvrage éclatant ; il y a là un empiétement de l’écrivain sur le domaine du peintre ; la toile n’en dirait pas plus et même je ne crois pas impossible qu’on fît des dessins d’après les descriptions de Notre-Dame de Paris aussi sûrement que d’après nature. C’en est quelquefois éblouissant.

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Quasimodo et la Esmeralda, le Monstre et l’Ange, sont les deux créations originales du poète, ses personnages de prédilection ; et dans tous deux il a mis tout ce qu’il y a d’amour et de misère humaine, afin que son rêve finît comme tous les rêves, par le désenchantement et la tristesse. L’épigraphe de ce livre, c’est la fatalité. Est-ce donc là toute la leçon qu’il en faut tirer ? Est-ce que l’auteur a voulu nier la liberté humaine ? Est-ce qu’il croit peut-être qu’il n’y a de malheur ici-bas que pour les belles âmes et de bonheur que pour les beaux hommes ? Est-ce plutôt qu’il ne croit à rien ? La fatalité ! Serait-il donc vrai que toute notre liberté ici-bas consiste à tourner avec agitation dans ce cercle qu’il appelle anankè, la nécessité ?

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La description du vieux Paris est admirable. Description ne rend pas toute ma pensée ; c’est plutôt une réparation du genre de celles que les architectes font des vieux temples, d’après les débris qui en ont échappé à la destruction du temps et des hommes. Seulement, là où l’architecte hasarde de timides conjectures, le poète affirme et tranche ; les pierres qui restent inanimées sous la lente et méthodique recomposition de l’architecte, reçoivent la vie de l’imagination du poète ; ce qui est du passé pour celui-là, est du présent pour celui-ci. Pourquoi M. Victor Hugo ne se présenterait-il pas à l’Académie des belles-lettres ? S’il faut avoir fait des preuves d’érudition, il y en a dans ce livre ; et quelle réparation plus curieuse que le Paris du XVe siècle !

N.

Terminons par quatre citations que recommandent et les articles en eux-mêmes et les noms qui les ont signés.

Jules Janin.
(1831.)in.

Notre-Dame de Paris est une terrible et puissante lecture. C’est là que s’étalent dans toute leur force la verve, le génie, l’audace, l’inflexible sang-froid et l’incroyable volonté du poète.

Toute la fange et toute la croyance du moyen âge sont pétries, remuées et mêlées ensemble avec une truelle d’or et de fer. Le poète a soufflé sur toutes ces ruines qui, à sa voix, se sont dressées de toute leur hauteur sur le sol parisien. Dans ces rues étroites, dans ces places remplies de populaire, dans ces coupe-gorge, dans cette milice, dans ces marchands, dans ces églises, que de passions circulent, toutes brûlantes, toutes vivantes, toutes armées ! Chacune d’elles a son vêtement qui lui est propre, robe de femme ou robe de prêtre, armure ou bonnet ; ou bien la passion est toute nue et en haillons et toute misérable comme une passion de bête féroce… Victor Hugo a obéi à sa double passion de poète et d’architecte, d’historien et de romancier ; il a vécu à la fois d’invention et de souvenirs. Il a fait mugir à la fois toutes les