Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome II.djvu/425

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Alors elle se mit à rire ou à grincer des dents, les deux choses se ressemblaient sur cette figure furieuse. Le jour commençait à poindre. Un reflet de cendre éclairait vaguement cette scène, et le gibet devenait de plus en plus distinct dans la place. De l’autre côté, vers le Pont Notre-Dame, la pauvre condamnée croyait entendre se rapprocher le bruit de cavalerie.

— Madame ! cria-t-elle joignant les mains et tombée sur ses deux genoux, échevelée, éperdue, folle d’effroi, madame ! ayez pitié. Ils viennent. Je ne vous ai rien fait. Voulez-vous me voir mourir de cette horrible façon sous vos yeux ? Vous avez de la pitié, j’en suis sûre. C’est trop affreux. Laissez-moi me sauver. Lâchez-moi ! Grâce ! Je ne veux pas mourir comme cela !

— Rends-moi mon enfant ! dit la recluse.

— Grâce ! grâce !

— Rends-moi mon enfant !

— Lâchez-moi, au nom du ciel !

— Rends-moi mon enfant !

Cette fois encore, la jeune fille retomba, épuisée, rompue, ayant déjà le regard vitré de quelqu’un qui est dans la fosse. — Hélas ! bégaya-t-elle, vous cherchez votre enfant. Moi, je cherche mes parents.

— Rends-moi ma petite Agnès ! poursuivit Gudule. — Tu ne sais pas où elle est ? Alors, meurs ! — Je vais te dire. J’étais une fille de joie, j’avais un enfant, on m’a pris mon enfant. — Ce sont les égyptiennes. Tu vois bien qu’il faut que tu meures. Quand ta mère l’égyptienne viendra te réclamer, je lui dirai : La mère, regarde à ce gibet ! — Ou bien rends-moi mon enfant. — Sais-tu où elle est, ma petite fille ? Tiens, que je te montre. Voilà son soulier, tout ce qui m’en reste. Sais-tu où est le pareil ? Si tu le sais, dis-le-moi, et si ce n’est qu’à l’autre bout de la terre, je l’irai chercher en marchant sur les genoux.

En parlant ainsi, de son autre bras tendu hors de la lucarne elle montrait à l’égyptienne le petit soulier brodé. Il faisait déjà assez jour pour en distinguer la forme et les couleurs.

— Montrez-moi ce soulier, dit l’égyptienne en tressaillant. Dieu ! Dieu ! Et en même temps, de la main qu’elle avait libre, elle ouvrait vivement le petit sachet orné de verroterie verte qu’elle portait au cou.

— Va ! va ! grommelait Gudule, fouille ton amulette du démon ! Tout à coup elle s’interrompit, trembla de tout son corps, et cria avec une voix qui venait du plus profond des entrailles : — Ma fille !

L’égyptienne venait de tirer du sachet un petit soulier absolument pareil à l’autre. À ce petit soulier était attaché un parchemin sur lequel ce carme était écrit :

Quand le pareil retrouveras,
Ta mère te tendra les bras.