Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome II.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
ἈΝΆΓΚΗ.

Du reste, il n’y avait pas de feu dans le fourneau, et il paraissait même qu’on n’en avait pas allumé depuis longtemps. Un masque de verre, que Jehan remarqua parmi les ustensiles d’alchimie, et qui servait sans doute à préserver le visage de l’archidiacre lorsqu’il élaborait quelque substance redoutable, était dans un coin, couvert de poussière, et comme oublié. À côté gisait un soufflet non moins poudreux, et dont la feuille supérieure portait cette légende incrustée en lettres de cuivre : spira, spera.

D’autres légendes étaient écrites, selon la mode des hermétiques, en grand nombre sur les murs ; les unes tracées à l’encre, les autres gravées avec une pointe de métal. Du reste, lettres gothiques, lettres hébraïques, lettres grecques et lettres romaines pêle-mêle, les inscriptions débordant au hasard, celles-ci sur celles-là, les plus fraîches effaçant les plus anciennes, et toutes s’enchevêtrant les unes dans les autres comme les branches d’une broussaille, comme les piques d’une mêlée. C’était, en effet, une assez confuse mêlée de toutes les philosophies, de toutes les rêveries, de toutes les sagesses humaines. Il y en avait une çà et là qui brillait sur les autres comme un drapeau parmi les fers de lance. C’était, la plupart du temps, une brève devise latine ou grecque, comme les formulait si bien le moyen-âge : Unde ? inde ?Homo homini monstrum.Astra, castra, nomen, numen. — Mέγα βιϐλίον, μέγα κακόν. — Sapere aude. — Flat ubi vult, — etc. ; quelquefois un mot dénué de tout sens apparent : Ἀναγκοφαγία, ce qui cachait peut-être une allusion amère au régime du cloître ; quelquefois une simple maxime de discipline cléricale formulée en un hexamètre réglementaire : Cœlestem dominum, terrestrem dicito domnum. Il y avait aussi paßim des grimoires hébraïques, auxquels Jehan, déjà fort peu grec, ne comprenait rien, et le tout était traversé à tout propos par des étoiles, des figures d’hommes ou d’animaux et des triangles qui s’intersectaient, ce qui ne contribuait pas peu à faire ressembler la muraille barbouillée de la cellule à une feuille de papier sur laquelle un singe aurait promené une plume chargée d’encre.

L’ensemble de la logette, du reste, présentait un aspect général d’abandon et de délabrement ; et le mauvais état des ustensiles laissait supposer que le maître était déjà depuis assez longtemps distrait de ses travaux par d’autres préoccupations.

Ce maître cependant, penché sur un vaste manuscrit orné de peintures bizarres, paraissait tourmenté par une idée qui venait sans cesse se mêler à ses méditations. C’est du moins ce que Jehan jugea en l’entendant s’écrier, avec les intermittences pensives d’un songe-creux qui rêve tout haut :

— Oui, Manou le dit, et Zoroastre l’enseignait, le soleil naît du feu, la lune du soleil. Le feu est l’âme du grand tout. Ses atomes élémentaires s’épanchent et ruissellent incessamment sur le monde par courants infinis.