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HISTOIRE D’UNE GALETTE…

Des sergents pour brûler les sorcières ! — Les égyptiens étaient partis. — Il faisait nuit noire. On ne put les poursuivre. Le lendemain, à deux lieues de Reims, dans une bruyère entre Gueux et Tilloy, on trouva les restes d’un grand feu, quelques rubans qui avaient appartenu à l’enfant de Paquette, des gouttes de sang, et des crottins de bouc. La nuit qui venait de s’écouler était précisément celle d’un samedi. On ne douta plus que les égyptiens n’eussent fait le sabbat dans cette bruyère, et qu’ils n’eussent dévoré l’enfant en compagnie de Belzébuth, comme cela se pratique chez les mahométans. Quand la Chantefleurie apprit ces choses horribles, elle ne pleura pas, elle remua les lèvres comme pour parler, mais ne put. Le lendemain, ses cheveux étaient gris. Le surlendemain, elle avait disparu.

— Voilà, en effet, une effroyable histoire, dit Oudarde, et qui ferait pleurer un bourguignon !

— Je ne m’étonne plus, ajouta Gervaise, que la peur des égyptiens vous talonne si fort !

— Et vous avez d’autant mieux fait, reprit Oudarde, de vous sauver tout à l’heure avec votre Eustache, que ceux-ci aussi sont des égyptiens de Pologne.

— Non pas, dit Gervaise. On dit qu’ils viennent d’Espagne et de Catalogne.

— Catalogne ? c’est possible, répondit Oudarde. Pologne, Catalogne, Valogne, je confonds toujours ces trois provinces-là. Ce qui est sûr, c’est que ce sont des égyptiens.

— Et qui ont certainement, ajouta Gervaise, les dents assez longues pour manger des petits enfants. Et je ne serais pas surprise que la Smeralda en mangeât aussi un peu, tout en faisant la petite bouche. Sa chèvre blanche a des tours trop malicieux pour qu’il n’y ait pas quelque libertinage là-dessous.

Mahiette marchait silencieusement. Elle était absorbée dans cette rêverie qui est en quelque sorte le prolongement d’un récit douloureux, et qui ne s’arrête qu’après en avoir propagé l’ébranlement, de vibration en vibration, jusqu’aux dernières fibres du cœur. Cependant Gervaise lui adressa la parole : — Et l’on n’a pu savoir ce qu’est devenue la Chantefleurie ? — Mahiette ne répondit pas. Gervaise répéta sa question en lui secouant le bras et en l’appelant par son nom. Mahiette parut se réveiller de ses pensées.

— Ce qu’est devenue la Chantefleurie ? dit-elle en répétant machinalement les paroles dont l’impression était toute fraîche dans son oreille ; puis faisant effort pour ramener son attention au sens de ces paroles : — Ah ! reprit-elle vivement, on ne l’a jamais su.

Elle ajouta après une pause :

— Les uns ont dit l’avoir vue sortir de Reims à la brune par la Porte Fléchembault ; les autres, au point du jour, par la vieille Porte Basée. Un