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je reviendrai bientôt. Va, tu seras à moi ; je veux être le sauveur de ton père, pour mériter de devenir son fils. Mon Éthel, ma bien-aimée Éthel !

Qui pourrait dire ce qui se passe dans un noble cœur qui se sent compris d’un noble cœur ? Et si l’amour unit ces deux âmes pareilles d’un lien indestructible, qui pourrait peindre ces inexprimables délices ? Il semble alors que l’on éprouve, réunis dans un court moment, tout le bonheur et toute la gloire de la vie, embellie du charme des généreux sacrifices.

— Ô mon Ordener, va, et, si tu ne reviens pas, la douleur sans espoir tue. J’aurai cette lente consolation.

Ils se levèrent tous deux, et Ordener plaça sur son bras le bras d’Éthel, et dans sa main cette main adorée ; ils traversèrent en silence les allées tortueuses du sombre jardin, et arrivèrent à regret à la porte de la tour qui servait d’issue. Là, Éthel, tirant de son sein de petits ciseaux d’or, coupa une boucle de ses beaux cheveux noirs.

— Reçois-la, Ordener ; qu’elle t’accompagne, qu’elle soit plus heureuse que moi.

Ordener pressa religieusement sur ses lèvres ce présent de sa bien-aimée.

Elle poursuivit :

— Ordener, pense à moi, je prierai pour toi. Ma prière sera peut-être aussi puissante auprès de Dieu que tes armes devant le démon.

Ordener s’inclina devant cet ange. Son âme sentait trop pour que sa bouche pût parler. Ils restèrent quelque temps sur le cœur l’un de l’autre. Au moment de la quitter, peut-être pour jamais, Ordener jouissait, avec un triste ravissement, du bonheur de tenir une fois encore toute son Éthel entre ses bras. Enfin, déposant un chaste et long baiser sur le front décoloré de la douce jeune fille, il s’élança violemment sous la voûte obscure de l’escalier en spirale, qui lui apporta un moment après le mot si lugubre et si doux : Adieu !