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donc fuir. Je vous offre ma sauvegarde, mais à condition que vous me conduirez à la retraite du brigand. Soyez mon guide, je serai votre protecteur. Je dis plus : si j’atteins Han d’Islande, je l’amènerai ici mort ou vif. Vous pourrez prouver votre innocence, et je vous promets de vous faire rentrer dans votre emploi. Voilà, en attendant, plus d’écus royaux qu’il ne vous en rapporte par an.

Ordener, en gardant la bourse pour la fin, avait observé dans ses arguments la gradation voulue par les saines lois de la logique. Cependant ils étaient par eux-mêmes assez forts pour faire rêver Spiagudry. Il commença par prendre l’argent.

— Noble maître, vous avez raison, dit-il ensuite, et son œil, jusqu’alors indécis, se releva sur Ordener. Si je vous suis, je m’expose quelque jour à la vengeance du formidable Han. Si je reste, je tombe demain entre les mains du bourreau Orugix. — Quel est donc déjà le supplice des sacrilèges ? N’importe. — Dans les deux cas, ma pauvre vie est en péril ; mais comme, d’après la juste observation de Sæmond-Sigfusson, autrement dit le Sage, inter duo pericula æqualia, minus imminens eligendum est, je vous suis. — Oui, seigneur, je serai votre guide. Veuillez ne pas oublier toutefois que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous détourner de votre aventureux dessein.

— Soit, dit Ordener. Vous serez donc mon guide. Vieillard, ajouta-t-il avec un regard expressif, je compte sur votre loyauté.

— Ah ! maître, répondit le concierge, la foi de Spiagudry est aussi pure que l’or que vous venez de me donner si gracieusement.

— Qu’il n’en soit pas autrement, car je vous prouverais que le fer que je porte n’est pas de moins bon aloi que mon or. — Où pensez-vous que soit Han d’Islande ?

— Mais, comme le midi du Drontheimhus est plein de troupes qu’on y a envoyées sur je ne sais quelle réquisition du grand-chancelier, Han doit s’être dirigé vers la grotte de Walderhog ou vers le lac de Smiasen. Notre route est par Skongen.

— Quand pouvez-vous me suivre ?

— Après la journée qui commence, quand la nuit sera close et le Spladgest fermé, votre pauvre serviteur commencera près de vous les fonctions de guide, pour lesquelles il privera les morts de ses soins. Nous chercherons un moyen de cacher pendant tout le jour, aux yeux du peuple, la mutilation du mineur.

— Où vous trouverai-je ce soir ?

— Sur la grande place de Drontheim, s’il convient au maître, près la statue de la Justice, qui fut jadis Freya, et qui me protégera sans doute