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blanc qui était au pied de son lit et qui contenait ses quelques guenilles. Il en tira une paire de ciseaux de couturière. C’était, avec un volume dépareillé de l’Émile, la seule chose qui lui restât de la femme qu’il avait aimée, de la mère de son enfant, de son heureux petit ménage d’autrefois. Deux meubles bien inutiles pour Claude ; les ciseaux ne pouvaient servir qu’à une femme, le livre qu’à un lettré. Claude ne savait ni coudre ni lire.

Au moment où il traversait le vieux cloître déshonoré et blanchi à la chaux qui sert de promenoir l’hiver, il s’approcha du condamné Ferrari, qui regardait avec attention les énormes barreaux d’une croisée. Claude tenait à la main la petite paire de ciseaux ; il la montra à Ferrari en disant :

— Ce soir je couperai ces barreaux-ci avec ces ciseaux-là.

Ferrari, incrédule, se mit à rire, et Claude aussi.

Ce matin-là, il travailla avec plus d’ardeur qu’à l’ordinaire ; jamais il n’avait fait si vite et si bien. Il parut attacher un certain prix à terminer dans la matinée un chapeau de paille que lui avait payé d’avance un honnête bourgeois de Troyes, M. Bressier.

Un peu avant midi, il descendit sous un prétexte à l’atelier des menuisiers situé au rez-de-chaussée, au-dessous de l’étage où il travaillait. Claude était aimé là comme ailleurs, mais il y entrait rarement. Aussi :

— Tiens ! voilà Claude !

On l’entoura. Ce fut une fête. Claude jeta un coup d’œil rapide dans la salle. Pas un des surveillants n’y était.

— Qui est-ce qui a une hache à me prêter ? dit-il.

— Pourquoi faire ? lui demanda-t-on.

Il répondit :

— C’est pour tuer ce soir le directeur des ateliers.

On lui présenta plusieurs haches à choisir. Il prit la plus petite, qui était fort tranchante, la cacha dans son pantalon, et sortit. Il y avait là vingt-sept prisonniers. Il ne leur avait pas recommandé le secret. Tous le gardèrent.

Ils ne causèrent même pas de la chose entre eux.

Chacun attendit de son côté ce qui arriverait. L’affaire était terrible, droite et simple. Pas de complication possible. Claude ne pouvait être ni conseillé, ni dénoncé.

Une heure après, il aborda un jeune condamné de seize ans qui bâillait dans le promenoir, et lui conseilla d’apprendre à lire. En ce moment, le détenu Faillette accosta Claude, et lui demanda ce que diable il cachait là dans son pantalon. Claude dit :

— C’est une hache pour tuer M. D. ce soir.

Il ajouta :

— Est-ce que cela se voit ?