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En abordant la barrière, j’étais toujours préoccupé sans doute, mais Paris m’a paru faire un plus grand bruit qu’à l’ordinaire.

La voiture s’est arrêtée un moment devant l’octroi. Les douaniers de ville l’ont inspectée. Si c’eût été un mouton ou un bœuf qu’on eût mené à la boucherie, il aurait fallu leur jeter une bourse d’argent ; mais une tête humaine ne paye pas de droit. Nous avons passé.

Le boulevard franchi, la carriole s’est enfoncée au grand trot dans ces vieilles rues tortueuses du faubourg Saint-Marceau et de la Cité, qui serpentent et s’entrecoupent comme les mille chemins d’une fourmilière. Sur le pavé de ces rues étroites le roulement de la voiture est devenu si bruyant et si rapide, que je n’entendais plus rien du bruit extérieur. Quand je jetais les yeux par la petite lucarne carrée, il me semblait que le flot des passants s’arrêtait pour regarder la voiture, et que des bandes d’enfants couraient sur sa trace. Il m’a semblé aussi voir de temps en temps dans les carrefours çà et là un homme ou une vieille en haillons, quelquefois les deux ensemble, tenant en main une liasse de feuilles imprimées que les passants se disputaient, en ouvrant la bouche comme pour un grand cri.

Huit heures et demie sonnaient à l’horloge du Palais au moment où nous sommes arrivés dans la cour de la Conciergerie. La vue de ce grand escalier, de cette noire chapelle, de ces guichets sinistres, m’a glacé. Quand la voiture s’est arrêtée, j’ai cru que les battements de mon cœur allaient s’arrêter aussi.

J’ai recueilli mes forces ; la porte s’est ouverte avec la rapidité de l’éclair ; j’ai sauté à bas du cachot roulant, et je me suis enfoncé à grands pas sous la voûte entre deux haies de soldats. Il s’était déjà formé une foule sur mon passage.