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LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ

toujours diverses et toujours les mêmes, comme les ormeaux tordus de la grande route, lorsque la voix brève et saccadée de l’huissier, placé sur le devant, est venue subitement me secouer.

— Eh bien ! monsieur l’abbé, disait-il avec un accent presque gai, qu’est-ce que vous savez de nouveau ?

C’est vers le prêtre qu’il se retournait en parlant ainsi.

L’aumônier, qui me parlait sans relâche, et que la voiture assourdissait, n’a pas répondu.

— Hé ! hé ! a repris l’huissier en haussant la voix pour avoir le dessus sur le bruit des roues ; infernale voiture !

Infernale ! En effet.

Il a continué :

— Sans doute, c’est le cahot ; on ne s’entend pas. Qu’est-ce que je voulais donc dire ? Faites-moi le plaisir de m’apprendre ce que je voulais dire, monsieur l’abbé ? — Ah ! savez-vous la grande nouvelle de Paris, aujourd’hui ?

J’ai tressailli, comme s’il parlait de moi.

— Non, a dit le prêtre, qui avait enfin entendu, je n’ai pas eu le temps de lire les journaux ce matin. Je verrai cela ce soir. Quand je suis occupé comme cela toute la journée, je recommande au portier de me garder mes journaux, et je les lis en rentrant.

— Bah ! a repris l’huissier, il est impossible que vous ne sachiez pas cela. La nouvelle de Paris ! la nouvelle de ce matin !

J’ai pris la parole : — Je crois la savoir.

L’huissier m’a regardé.

— Vous ! vraiment ! En ce cas, qu’en dites-vous ?

— Vous êtes curieux ! lui ai-je dit.

— Pourquoi, monsieur ? a répliqué l’huissier. Chacun a son opinion politique. Je vous estime trop pour croire que vous n’avez pas la vôtre. Quant à moi, je suis tout à fait d’avis du rétablissement de la garde nationale. J’étais sergent de ma compagnie, et, ma foi, c’était fort agréable.

Je l’ai interrompu.

— Je ne croyais pas que ce fût de cela qu’il s’agissait.

— Et de quoi donc ? Vous disiez savoir la nouvelle…

— Je parlais d’une autre, dont Paris s’occupe aussi aujourd’hui.

L’imbécile n’a pas compris ; sa curiosité s’est éveillée.

— Une autre nouvelle ? Où diable avez-vous pu apprendre des nouvelles ? Laquelle, de grâce, mon cher monsieur ? Savez-vous ce que c’est, monsieur l’abbé ? êtes-vous plus au courant que moi ? Mettez-moi au fait, je vous prie. De quoi s’agit-il ? — Voyez-vous, j’aime les nouvelles. Je les conte à monsieur le président, et cela l’amuse.