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XVI


Pendant le peu d’heures que j’ai passées à l’infirmerie, je m’étais assis près d’une fenêtre, au soleil — il avait reparu — ou du moins recevant du soleil tout ce que les grilles de la croisée m’en laissaient.

J’étais là, ma tête pesante et embrasée dans mes deux mains, qui en avaient plus qu’elles n’en pouvaient porter, mes coudes sur mes genoux, les pieds sur les barreaux de ma chaise, car l’abattement fait que je me courbe et me replie sur moi-même comme si je n’avais plus ni os dans les membres ni muscles dans la chair.

L’odeur étouffée de la prison me suffoquait plus que jamais, j’avais encore dans l’oreille tout ce bruit de chaînes des galériens, j’éprouvais une grande lassitude de Bicêtre. Il me semblait que le bon Dieu devrait bien avoir pitié de moi et m’envoyer au moins un petit oiseau pour chanter là, en face, au bord du toit.

Je ne sais si ce fut le bon Dieu ou le démon qui m’exauça ; mais presque au même moment j’entendis s’élever sous ma fenêtre une voix, non celle d’un oiseau, mais bien mieux : la voix pure, fraîche, veloutée d’une jeune fille de quinze ans. Je levai la tête comme en sursaut, j’écoutai avidement la chanson qu’elle chantait. C’était un air lent et langoureux, une espèce de roucoulement triste et lamentable ; voici les paroles :

 
C’est dans la rue du Mail
Où j’ai été coltigé,
Maluré,
Par trois coquins de railles,
Lirlonfa malurette,
Sur mes sique’ ont foncé,
Lirlonfa maluré.

Je ne saurais dire combien fut amer mon désappointement. La voix continua :

 
Sur mes sique’ ont foncé,
Maluré.
Ils m’ont mis la tartouve,
Lirlonfa malurette,
Grand Meudon est aboulé,
Lirlonfa maluré.