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LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ


IX


Je viens de faire mon testament.

À quoi bon ? Je suis condamné aux frais, et tout ce que j’ai y suffira à peine. La guillotine, c’est fort cher.

Je laisse une mère, je laisse une femme, je laisse un enfant.

Une petite fille de trois ans, douce, rose, frêle, avec de grands yeux noirs et de longs cheveux châtains.

Elle avait deux ans et un mois quand je l’ai vue pour la dernière fois.

Ainsi, après ma mort, trois femmes sans fils, sans mari, sans père ; trois orphelines de différente espèce ; trois veuves du fait de la loi.

J’admets que je sois justement puni ; ces innocentes, qu’ont-elles fait ? N’importe ; on les déshonore, on les ruine. C’est la justice.

Ce n’est pas que ma pauvre vieille mère m’inquiète ; elle a soixante-quatre ans, elle mourra du coup. Ou si elle va quelques jours encore, pourvu que jusqu’au dernier moment elle ait un peu de cendre chaude dans sa chaufferette, elle ne dira rien.

Ma femme ne m’inquiète pas non plus ; elle est déjà d’une mauvaise santé et d’un esprit faible. Elle mourra aussi.

À moins qu’elle ne devienne folle. On dit que cela fait vivre ; mais du moins, l’intelligence ne souffre pas ; elle dort, elle est comme morte.

Mais ma fille, mon enfant, ma pauvre petite Marie, qui rit, qui joue, qui chante à cette heure et ne pense à rien, c’est celle-là qui me fait mal !