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LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ

votre aumônier de prison, excellent vieillard sans doute ; mais croit-il et fait-il croire ? Ne grossoie-t-il pas comme une corvée son œuvre sublime ? Est-ce que vous le prenez pour un prêtre, ce bonhomme qui coudoie le bourreau dans la charrette ? Un écrivain plein d’âme et de talent l’a dit avant nous : C’est une horrible chose de conserver le bourreau après avoir ôté le confesseur !

Ce ne sont là, sans doute, que des « raisons sentimentales », comme disent quelques dédaigneux qui ne prennent leur logique que dans leur tête. À nos yeux, ce sont les meilleures. Nous préférons souvent les raisons du sentiment aux raisons de la raison. D’ailleurs les deux séries se tiennent toujours, ne l’oublions pas. Le Traité des Délits est greffé sur l’Esprit des Lois. Montesquieu a engendré Beccaria.

La raison est pour nous, le sentiment est pour nous, l’expérience est aussi pour nous. Dans les états modèles, où la peine de mort est abolie, la masse des crimes capitaux suit d’année en année une baisse progressive. Pesez ceci.

Nous ne demandons cependant pas pour le moment une brusque et complète abolition de la peine de mort, comme celle où s’était si étourdiment engagée la Chambre des députés. Nous désirons, au contraire, tous les essais, toutes les précautions, tous les tâtonnements de la prudence. D’ailleurs, nous ne voulons pas seulement l’abolition de la peine de mort, nous voulons un remaniement complet de la pénalité sous toutes ses formes, du haut en bas, depuis le verrou jusqu’au couperet, et le temps est un des ingrédients qui doivent entrer dans une pareille œuvre pour qu’elle soit bien faite. Nous comptons développer ailleurs, sur cette matière, le système d’idées que nous croyons applicable. Mais, indépendamment des abolitions partielles pour le cas de fausse monnaie, d’incendie, de vols qualifiés, etc., nous demandons que dès à présent, dans toutes les affaires capitales, le président soit tenu de poser au jury cette question : L’accusé a-t-il agi par passion ou par intérêt ? et que, dans le cas où le jury répondrait : L’accusé a agi par passion, il n’y ait pas condamnation à mort. Ceci nous épargnerait du moins quelques exécutions révol-