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NOTES DE L’ÉDITEUR.


I

HISTORIQUE DE BUG-JARGAL.


Bug-Jargal a été écrit en 1818. Victor Hugo le désigne comme son « premier ouvrage ». Ce n’était, à vrai dire, qu’une ébauche, car le vrai Bug-Jargal, « remanié et récrit en grande partie », date de 1825, deux ans après la publication de Han d’Islande.

On connaît l’histoire de Bug-Jargal, Mme  Victor Hugo l’a racontée. Un dîner avait été organisé, pendant les vacances, le premier du mois, chez Édon, un restaurateur de la rue de l’Ancienne-Comédie. Les habitués étaient des camarades de collège des jeunes Hugo. « Au dessert, chacun était tenu de montrer un échantillon de ce qu’il avait fait dans le mois…

La rentrée des classes n’interrompit pas le Banquet littéraire. Victor était libre de sortir quand il voulait et d’emmener Eugène[1] qui, d’ailleurs, capricieux et bizarre par instants, refusait souvent d’y aller et s’enfermait à la pension.

Victor, lui, n’y manquait jamais.

Un jour, l’un des dîneurs eut une idée.

— Savez-vous ce que nous devrions faire ? demanda-t-il.

— Quoi ?

— Nous devrions faire un livre collectif. Nous nous réunissons dans un dîner, réunissons-nous dans un roman.

— Explique-toi.

— Rien de plus simple. Nous supposerons, par exemple, que des officiers, la veille d’une bataille, se racontent leurs histoires pour tuer le temps en attendant qu’ils tuent le monde ou que le monde les tue ; cela nous donnera l’unité, et nous aurons la variété par nos manières différentes. Nous publierons la chose sans nom d’auteur, et le public sera délicieusement surpris de trouver dans un seul livre toutes les espèces de talent.

— Bravo ! cria la table enthousiasmée.

Le plan fut adopté. On convint de la dimension que devait avoir chaque histoire, car il ne fallait pas que l’ouvrage entier dépassât deux volumes in-octavo pour n’être pas d’une vente trop lourde. Du reste, chacun fut libre de son sujet. Au moment de se séparer, Abel[2] résuma ce qui avait été décidé.

— Et maintenant, ajouta-t-il, il ne va pas s’agir de se croiser les bras. Pour nous forcer au travail, il serait bon de fixer une époque où nous devrions avoir fini. Voyons, combien de temps nous donnons-nous ?

— Quinze jours, dit Victor.

Les autres le regardèrent pour voir s’il parlait sérieusement. Mais il était à l’âge où l’on ne doute de rien. Il répéta :

— Eh bien, oui, quinze jours.

  1. Le second frère de Victor Hugo.
  2. Frère aîné de Victor Hugo.