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— C’est ce que je vais vérifier ; si vous mentez, par les mérites du saint mon patron, je vous ferai goûter l’eau du golfe.

Puis, refermant le guichet et se retournant, il ajouta : — Ce n’est point encore le capitaine !

Une lumière brilla derrière la porte de fer ; les verrous rouillés crièrent ; les barres se levèrent, elle s’ouvrit, et le sergent examina un parchemin que lui présentait le nouveau venu.

— Passez, dit-il. Arrêtez cependant, reprit-il brusquement, laissez en dehors la boucle de votre chapeau. On n’entre pas dans les prisons d’état avec des bijoux. Le règlement porte que « le roi et les membres de la famille du roi, le vice-roi et les membres de la famille du vice-roi, l’évêque et les chefs de la garnison, sont seuls exceptés ». Vous n’avez, n’est-ce pas, aucune de ces qualités ?

Le jeune homme détacha, sans répondre, la boucle proscrite, et la jeta pour payement au pêcheur qui l’avait amené ; celui-ci, craignant qu’il ne revînt sur sa générosité, se hâta de mettre un large espace de mer entre le bienfaiteur et le bienfait.

Tandis que le sergent, murmurant de l’imprudence de la chancellerie qui prodiguait ainsi les droits de passe, replaçait les lourds barreaux, et que le bruit lent de ses bottes fortes retentissait sur les degrés de l’escalier tournant du corps de garde, le jeune homme, après avoir rejeté son manteau sur son épaule, traversait rapidement la voûte noire de la tour basse, puis la longue place d’armes, puis le hangar de l’artillerie où gisaient quelques vieilles couleuvrines démontées que l’on peut voir aujourd’hui dans le musée de Copenhague, et dont le cri impérieux d’une sentinelle l’avertit de s’éloigner. Il parvint à la grande herse, qui fut levée à l’inspection de son parchemin. Là, suivi d’un soldat, il franchit, suivant la diagonale, sans hésiter et comme un habitué de ces lieux, une de ces quatre cours carrées qui flanquent la grande cour circulaire, du milieu de laquelle sort le vaste rocher rond où s’élevait alors le donjon, dit château du Lion de Slesvig, à cause de la détention que Rolf le Nain y fit jadis subir à son frère, Joatham le Lion, duc de Slesvig.

Notre intention n’est pas de donner ici une description du donjon de Munckholm, d’autant plus que le lecteur, enfermé dans une prison d’état, craindrait peut-être de ne pouvoir se sauver au travers du jardin. Ce serait à tort, car le château du Lion de Slesvig, destiné à des prisonniers de distinction, leur offrait, entre autres commodités, celle de se promener dans une espèce de jardin sauvage assez étendu, où des touffes de houx, quelques vieux ifs, quelques pins noirs, croissaient parmi les rochers autour de la haute prison, et dans un enclos de grands murs et d’énormes tours.