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BUG-JARGAL.

Vous pensez bien que toute l’autre bande ne reste pas en arrière. Je m’enfonce dans le bois. Rask me suit. Plusieurs balles sifflent à mes oreilles. Rask aboyait : mais heureusement ils ne pouvaient l’entendre à cause de leurs cris de French dog ! French dog ! comme si votre chien n’était pas un beau et bon chien de Saint-Domingue. N’importe, je traverse le hallier, et j’étais près d’en sortir quand deux rouges se présentent devant moi. Mon sabre me débarrasse de l’un, et m’aurait sans doute délivré de l’autre, si son pistolet n’eût été chargé à balle. Vous voyez mon bras droit. — N’importe ! french dog lui a sauté au cou, comme une ancienne connaissance, et je vous réponds que l’embrassement a été rude… l’anglais est tombé étranglé. — Aussi pourquoi ce diable d’homme s’acharnait-il après moi, comme un pauvre après un séminariste ! Enfin, Thad est de retour au camp, et Rask aussi. Mon seul regret, c’est que le Bon Dieu n’ait pas voulu m’envoyer plutôt cela à la bataille de demain. — Voilà !

Les traits du vieux sergent s’étaient rembrunis à l’idée de n’avoir point eu sa blessure dans une bataille.

— Thadée !… cria le capitaine d’un ton irrité. Puis il ajouta plus doucement : — Comment es-tu fou à ce point de t’exposer ainsi, — pour un chien ?

— Ce n’était pas pour un chien, mon capitaine, c’était pour Rask.

Le visage de d’Auverney se radoucit tout à fait. Le sergent continua :

— Pour Rask, le dogue de Bug…

— Assez ! assez ! mon vieux Thad, cria le capitaine en mettant la main sur ses yeux. — Allons, ajouta-t-il après un court silence, appuie-toi sur moi, et viens à l’ambulance.

Thadée obéit après une résistance respectueuse. Le chien, qui, pendant cette scène, avait à moitié rongé de joie la belle peau d’ours de son maître, se leva et les suivit tous deux.