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— Ho ! sortons ! cria le soldat enflammé de colère. Puis, s’arrêtant tout à coup : Non, dit-il, car il ne faut point parler de duel devant des morts.

Le petit homme grommela quelques mots dans une langue étrangère et disparut.

Une voix s’éleva : C’est aux grèves d’Urchtal qu’on l’a trouvé.

— Aux grèves d’Urchtal ? dit le soldat ; le capitaine Dispolsen a dû y débarquer ce matin, venant de Copenhague.

— Le capitaine Dispolsen n’est point encore arrivé à Munckholm, dit une autre voix.

— On dit que Han d’Islande erre actuellement sur ces plages, reprit un quatrième.

— En ce cas, il est possible que cet homme soit le capitaine, dit le soldat, si Han est le meurtrier ; car chacun sait que l’islandais assassine d’une manière si diabolique, que ses victimes ont souvent l’apparence de suicidés.

— Quel homme est-ce donc que ce Han ? demanda-t-on.

— C’est un géant, dit l’un.

— C’est un nain, dit l’autre.

— Personne ne l’a donc vu ? reprit une voix.

— Ceux qui le voient pour la première fois le voient aussi pour la dernière.

— Chut ! dit la vieille Olly ; il n’y a, dit-on, que trois personnes qui aient jamais échangé des paroles humaines avec lui : ce réprouvé de Spiagudry, la veuve Stadt, et… — mais il a eu malheureuse vie et malheureuse mort — ce pauvre Gill, que vous voyez ici. Chut !

— Chut ! répéta-t-on de toutes parts.

— Maintenant, s’écria tout à coup le soldat, je suis sûr que c’est en effet le capitaine Dispolsen ; je reconnais la chaîne d’acier que notre prisonnier, le vieux Schumacker, lui donna en don à son départ.

Le jeune homme à la plume noire rompit vivement le silence : — Vous êtes sûr que c’est le capitaine Dispolsen ?

— Sûr, par les mérites de saint Belzébuth ! dit le soldat.

Le jeune homme sortit brusquement.

— Fais avancer une barque pour Munckholm, dit-il à son domestique.

— Mais, seigneur, et le général ?…

— Tu lui mèneras les chevaux. J’irai demain. Suis-je mon maître ou non ? Allons, le jour baisse et je suis pressé, une barque.

Le valet obéit et suivit quelque temps des yeux son jeune maître, qui s’éloignait du rivage.