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— Allons, paix ! reprit le bourreau. Je n’avais point encore vu la robe noire s’humilier devant ma veste rouge.

Il repoussa du pied le suppliant.

— Camarade, prie Dieu et les saints ; ils t’écouteront mieux que moi.

Musdœmon resta agenouillé, le visage caché dans ses mains et pleurant amèrement. Cependant le bourreau, se haussant sur la pointe des pieds, avait passé la corde dans l’anneau de la voûte ; il la laissa pendre jusque sur le plancher, puis l’arrêta par un double tour, puis prépara un nœud coulant à l’extrémité qui touchait à terre.

— J’ai fini, dit-il au condamné quand ces menaçants apprêts furent terminés ; en as-tu fini de même avec la vie ?

— Non, dit Musdœmon se levant, non, cela ne se peut ! Vous commettez quelque horrible méprise. Le chancelier d’Ahlefeld n’est point assez infâme… Je lui suis trop nécessaire. Il est impossible que ce soit pour moi que l’on vous ait envoyé. Laissez-moi fuir, craignez d’encourir la colère du chancelier.

— Ne nous as-tu point déclaré, répliqua le bourreau, que tu étais Turiaf Musdœmon ?

Le prisonnier demeura un moment silencieux :

— Non, dit-il tout à coup, non, je ne me nomme point Musdœmon ; je me nomme Turiaf Orugix.

— Orugix ! s’écria le bourreau, Orugix !

Il arracha précipitamment la perruque qui cachait le visage du condamné, et poussa un cri de stupeur :

— Mon frère !

— Ton frère ! répondit le condamné avec un étonnement mêlé de honte et de joie, serais-tu ?…

— Nychol Orugix, bourreau du Drontheimhus, pour te servir, mon frère Turiaf.

Le condamné se jeta au cou de l’exécuteur, en l’appelant son frère, son frère chéri. Cette reconnaissance fraternelle n’eût pas dilaté le cœur de celui qui en eût été témoin. Turiaf prodiguait à Nychol mille caresses avec un sourire affecté et craintif, auquel Nychol répondait par des regards sombres et embarrassés ; on eût dit un tigre flattant un éléphant au moment où le pied du monstre presse son ventre haletant.

— Quel bonheur, frère Nychol !… Je suis bien joyeux de te revoir.

— Et moi, j’en suis fâché pour toi, frère Turiaf.

Le condamné feignait de ne point entendre, et poursuivait d’une voix tremblante :

— Tu as une femme et des enfants, sans doute ? Tu me mèneras voir mon aimable sœur et embrasser mes charmants neveux.