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— Oui, avec l’aide de saint Belzébuth, s’il plaît à votre excellence.

On apporte sur le tribunal un sac pesant.

— Vous reconnaissez bien cet homme pour le fameux Han d’Islande ? ajoute le président, montrant le géant enchaîné.

— Je connaissais mieux le minois de la jolie Cattie que celui de Han d’Islande ; mais j’affirme, par la gloire de saint Belphégor, que, si Han d’Islande est quelque part, c’est sous la forme de ce grand démon.

— Approchez, Toric Belfast, reprit le président. Voici les mille écus promis par le haut-syndic.

Le soldat s’avançait précipitamment vers le tribunal, quand une voix s’éleva dans la foule :

— Arquebusier de Munckholm, ce n’est pas toi qui as pris Han d’Islande !

— Par tous les bienheureux diables ! s’écria le soldat en se retournant, je n’ai en propriété que ma pipe et la minute où je parle, mais je promets de donner dix mille écus d’or à celui qui vient de dire cela, s’il peut prouver ce qu’il a dit.

Et, croisant les deux bras, il promenait un regard assuré sur l’auditoire.

— Eh bien ! que celui qui vient de parler se montre donc !

— C’est moi ! dit un petit homme qui fendait la presse pour pénétrer dans l’enceinte.

Ce nouveau personnage était enveloppé d’une natte de jonc et de poil de veau marin, vêtement des Groënlandais, qui tombait autour de lui comme le toit conique d’une hutte. Sa barbe était noire, et d’épais cheveux de même couleur, couvrant ses sourcils roux, cachaient son visage, dont tout ce qu’on distinguait était hideux. On ne voyait ni ses bras ni ses mains.

— Ah ! c’est toi ? dit le soldat avec un éclat de rire. Et qui donc, selon toi, mon beau sire, a eu l’honneur de prendre ce diabolique géant ?

Le petit homme secoua la tête, et dit avec une sorte de sourire malicieux :

— C’est moi !

— En ce moment, le baron Vœthaün crut reconnaître en cet homme singulier l’être mystérieux qui lui avait donné à Skongen l’avis de l’arrivée des rebelles ; le chancelier d’Ahlefeld, l’hôte de la ruine d’Arbar ; et le secrétaire intime, un certain paysan d’Oëlmœ, qui portait une natte pareille et lui avait si bien indiqué la retraite de Han d’Islande. Mais, séparés tous trois, ils ne purent se communiquer leur impression fugitive, que les différences de costume et de traits qu’ils remarquèrent ensuite eurent bientôt effacée.