Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/322

Cette page a été validée par deux contributeurs.

captif, flétri, opprimé, maintenant que tu vas mourir, je viens à toi, espérant que tu daigneras du moins, Ordener, mon seigneur, permettre à celle qui n’aurait pu être la compagne de ta vie, d’être la compagne de ta mort ; car tu m’aimes assez, n’est-il pas vrai, pour n’avoir pas douté un instant que je n’expire en même temps que toi ?

Le condamné tomba à ses pieds et baisa le bas de sa robe.

— Vous, vieillard, continua-t-elle, vous allez nous tenir lieu de familles et de pères ; ce cachot sera le temple ; cette pierre, l’autel. Voici mon anneau, nous sommes à genoux devant Dieu et devant vous. Bénissez-nous et lisez les paroles saintes qui vont unir Éthel Schumacker à Ordener Guldenlew, son seigneur.

Et ils s’étaient agenouillés ensemble devant le prêtre, qui les contemplait avec un étonnement mêlé de pitié.

— Comment, mes enfants ! que faites-vous ?

— Mon père, dit la jeune fille, le temps presse. Dieu et la mort nous attendent.

On rencontre quelquefois dans la vie des puissances irrésistibles, des volontés auxquelles on cède soudain comme si elles avaient quelque chose de plus que les volontés humaines. Le prêtre leva les yeux en soupirant.

— Que le Seigneur me pardonne si ma condescendance est coupable ! Vous vous aimez, vous n’avez plus que bien peu de temps à vous aimer sur la terre ; je ne crois pas manquer à nos saints devoirs en légitimant votre amour.

La douce et redoutable cérémonie s’accomplit. Ils se levèrent tous deux sous la dernière bénédiction du prêtre ; ils étaient époux.

Le visage du condamné brillait d’une douloureuse joie ; on eût dit qu’il commençait à sentir l’amertume de la mort, à présent qu’il essayait la félicité de la vie. Les traits de sa compagne étaient sublimes de grandeur et de simplicité ; elle était encore modeste comme une jeune vierge, et déjà presque fière comme une jeune épouse.

— Écoute-moi, mon Ordener, dit-elle, n’est-il pas vrai que nous sommes maintenant heureux de mourir, puisque la vie ne pouvait nous réunir ? Tu ne sais pas, ami, ce que je ferai, — je me placerai aux fenêtres du donjon de manière à te voir monter sur l’échafaud, afin que nos âmes s’envolent ensemble dans le ciel. Si j’expire avant que la hache ne tombe, je t’attendrai ; car nous sommes époux, mon Ordener adoré, et ce soir le cercueil sera notre lit nuptial.

Il la pressa sur son cœur gonflé et ne put prononcer que ces mots, qui étaient l’idée de toute son existence :

— Éthel, tu es donc à moi !