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de mes serments, par le sacrifice de mon amour ? — Il ajouta, l’œil fixé sur Éthel : — De mon amour, pour lequel je verse aujourd’hui tout mon sang.

Un long gémissement précéda la réponse d’Éthel.

— Écoute-moi encore, mon Ordener, ne m’accuse pas si vite. J’ai peut-être plus de force qu’il n’appartient d’ordinaire à une pauvre femme. — Du haut de notre donjon on voit construire, dans la place d’Armes, l’échafaud qui t’est destiné. Ordener ! tu ne connais pas cette affreuse douleur de voir lentement se préparer la mort de celui qui porte avec lui notre vie ! La comtesse d’Ahlefeld, près de laquelle j’étais quand j’ai entendu prononcer ton arrêt funèbre, est venue me trouver au donjon, où j’étais rentrée avec mon père. Elle m’a demandé si je voulais te sauver, elle m’a offert cet odieux moyen ; mon Ordener, il fallait détruire ma pauvre destinée, renoncer à toi, te perdre pour jamais, donner à une autre cet Ordener, toute la félicité de la délaissée Éthel, ou te livrer au supplice ; on me laissait le choix entre mon malheur et ta mort : je n’ai pas balancé.

Il baisa avec respect la main de cet ange.

— Je ne balance pas non plus, Éthel. Tu ne serais pas venue m’offrir la vie avec la main d’Ulrique d’Ahlefeld, si tu avais su comment il se fait que je meurs.

— Quoi ? Quel mystère ?…

— Permets-moi d’avoir un secret pour toi, mon Éthel bien-aimée. Je veux mourir sans que tu saches si tu me dois de la reconnaissance ou de la haine pour ma mort.

— Tu veux mourir ! Tu veux donc mourir ! Ô Dieu ! et cela est vrai ! et l’échafaud se dresse en ce moment, et aucune puissance humaine ne peut délivrer mon Ordener qu’on va tuer ! Dis-moi, jette un regard sur ton esclave, sur ta compagne, et promets-moi, bien-aimé Ordener, de m’entendre sans colère. Es-tu bien sûr, réponds à ton Éthel comme à Dieu, que tu ne pourrais mener une vie heureuse auprès de cette femme, de cette Ulrique d’Ahlefeld ? en es-tu bien sûr, Ordener ? Elle est peut-être, sans doute même, belle, douce, vertueuse ; elle vaut mieux que celle pour qui tu péris. — Ne détourne pas la tête, cher ami, mon Ordener. Tu es si noble et si jeune pour monter sur un échafaud ! Eh bien ! tu irais vivre avec elle dans quelque brillante ville où tu ne penserais plus à ce funeste donjon ; tu laisserais couler paisiblement tes jours sans t’informer de moi ; j’y consens, tu me chasserais de ton cœur, même de ton souvenir, Ordener. Mais vis, laisse-moi ici seule, c’est à moi de mourir. Et, crois-moi, quand je te saurai dans les bras d’une autre, tu n’auras pas besoin de t’inquiéter de moi ; je ne souffrirai pas longtemps.

Elle s’arrêta ; sa voix se perdait dans les larmes. Cependant on lisait dans