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épars ; baisant les fers du condamné, elle meurtrissait ses lèvres pures sur les infâmes carcans ; elle ne parlait pas, mais tout son cœur semblait prêt à s’échapper dans la première parole qui passerait à travers ses sanglots.

Lui, il éprouvait la joie la plus céleste qu’il eût éprouvée depuis sa naissance. Il serrait doucement son Éthel sur sa poitrine, et les forces réunies de la terre et de l’enfer n’eussent pu en ce moment dénouer les deux bras dont il l’environnait. Le sentiment de sa mort prochaine mêlait quelque chose de solennel à son ravissement, et il s’emparait de son Éthel comme s’il en eût déjà pris possession pour l’éternité.

Il ne demanda pas à son Éthel comment elle avait pu pénétrer jusqu’à lui. Elle était là, pouvait-il penser à autre chose ? D’ailleurs il ne s’en étonnait pas. Il ne se demandait pas comment cette jeune fille proscrite, faible, isolée, avait pu, malgré les triples portes de fer, et les triples rangs de soldats, ouvrir sa propre prison et celle de son amant ; cela lui semblait simple ; il portait en lui la conscience intime de ce que peut l’amour.

À quoi bon se parler avec la voix quand on se peut parler avec l’âme ? Pourquoi ne pas laisser les corps écouter en silence le langage mystérieux des intelligences ? — Tous deux se taisaient, parce qu’il y a des émotions qu’on ne saurait exprimer qu’en se taisant.

Cependant la jeune fille souleva enfin sa tête appuyée sur le cœur tumultueux du jeune homme.

— Ordener, dit-elle, je viens te sauver ; et elle prononça cette parole d’espérance avec une angoisse douloureuse.

Ordener secoua la tête en souriant.

— Me sauver, Éthel ! tu t’abuses ; la fuite est impossible.

— Hélas ! je le sais trop. Ce château est peuplé de soldats, et toutes les portes qu’il faut traverser pour arriver ici sont gardées par des archers et des geôliers qui ne dorment pas. — Elle ajouta avec effort : Mais je t’apporte un autre moyen de salut.

— Va, ton espérance est vaine. Ne te berce pas de chimères, Éthel ; dans quelques heures un coup de hache les dissiperait trop cruellement.

— Oh ! n’achève pas ! Ordener ! tu ne mourras pas. Oh ! dérobe-moi cette affreuse pensée, ou plutôt, oui, présente-la-moi dans toute son horreur, pour me donner la force d’accomplir ton salut et mon sacrifice.

Il y avait dans l’accent de la jeune fille une expression indéfinissable. Ordener la regarda doucement :

— Ton sacrifice ! que veux-tu dire ?

Elle cacha son visage dans ses mains, et sanglota en disant d’une voix inarticulée : — Ô Dieu !

Cet abattement fut de courte durée ; elle se releva ; ses yeux brillaient, sa