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cœur était en proie à deux agitations différentes en même temps ; elle eût voulu savoir sur-le-champ en quoi elle était intéressée à la scène qu’elle contemplait, ou ne le savoir jamais. Depuis plusieurs jours, l’idée que son Ordener était perdu pour elle lui avait inspiré le désir désespéré d’en finir d’une fois avec l’existence, et de pouvoir lire d’un coup d’œil tout le livre de sa destinée. C’est pourquoi, comprenant qu’elle entrait dans l’heure décisive de son sort, elle examina le tableau lugubre qui s’offrait à elle, moins avec répugnance qu’avec une sorte de joie impatiente et funèbre.

Elle vit le président se lever, en proclamant, au nom du roi, que l’audience de justice était ouverte.

Elle entendit le petit homme noir, placé à la gauche du tribunal, lire, d’une voix basse et rapide, un long discours où le nom de son père, mêlé aux mots de conspiration, de révolte des mines, de haute trahison, revenait fréquemment. Alors elle se rappela ce que la fatale inconnue lui avait dit, dans le jardin du donjon, de l’accusation dont son père était menacé ; et elle frémit quand elle entendit l’homme à la robe noire terminer son discours par le mot de mort, fortement articulé.

Épouvantée, elle se tourna vers la femme voilée, pour laquelle un sentiment qu’elle ne s’expliquait pas lui inspirait de la crainte :

— Où sommes-nous ? qu’est-ce que tout ceci ? demanda-t-elle timidement.

Un geste de sa mystérieuse compagne l’invita au silence et à l’attention. Elle reporta sa vue dans la salle du tribunal.

Le vieillard vénérable, en habits épiscopaux, venait de se lever ; et Éthel recueillit ces paroles, qu’il prononça distinctement :

— Au nom du Dieu tout-puissant et miséricordieux, — moi, Pamphlie-Éleuthère, évêque de la royale ville de Drontheim et de la royale province du Drontheimhus, je salue le respectable tribunal qui juge au nom du roi, notre seigneur après Dieu ;

Et je dis — qu’ayant remarqué que les prisonniers amenés devant ce tribunal étaient des hommes et des chrétiens, et qu’ils n’avaient point de procureurs, je déclare aux respectables juges que mon intention est de les assister de mon faible secours, dans la cruelle position où le ciel les a voulu mettre ;

Priant Dieu de daigner donner sa force à notre infirme faiblesse, et sa lumière à notre profonde cécité.

C’est ainsi que moi, évêque de ce royal diocèse, je salue le respectable et judicieux tribunal. —

Après avoir parlé ainsi, l’évêque descendit de son trône pontifical, et alla s’asseoir sur le banc de bois destiné aux accusés, tandis qu’un murmure d’approbation éclatait parmi le peuple.