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XL


Brûle donc qui voudra sous ces feux couverts !
Brantôme[1]



— Ma fille, ouvrez cette fenêtre ; ces vitraux sont bien sombres, je voudrais voir un peu le jour.

— Voyez le jour, mon père ! la nuit approche à grands pas.

— Il y a encore des rayons de soleil sur les collines qui bordent le golfe. J’ai besoin de respirer cet air libre à travers les barreaux de mon cachot. — Le ciel est si pur !

— Mon père, un orage vient derrière l’horizon.

— Un orage, Éthel ! où le voyez-vous ?

— C’est parce que le ciel est pur, mon père, que j’attends un orage.

Le vieillard jeta un regard surpris sur la jeune fille.

— Si j’avais pensé cela dès ma jeunesse, je ne serais point ici.

Puis il ajouta d’un ton moins ému :

— Ce que vous dites est juste, mais n’est pas de votre âge. Je ne comprends point comment il se fait que votre jeune raison ressemble à ma vieille expérience.

Éthel baissa les yeux, comme troublée par cette réflexion grave et simple. Ses deux mains se joignirent douloureusement, et un soupir profond souleva sa poitrine.

— Ma fille, dit le vieux captif, depuis quelques jours vous êtes pâle, comme si jamais la vie n’avait échauffé le sang de vos veines. Voilà plusieurs matins que vous m’abordez avec des paupières rouges et gonflées, avec des yeux qui ont pleuré et veillé. Voilà plusieurs journées, Éthel, que je passe dans le silence, sans que votre voix essaie de m’arracher à la sombre méditation de mon passé. Vous êtes auprès de moi plus triste que moi ; et cepen-

  1. Voici l’épigraphe de l’édition originale :

    Des plaines de la mer quand l’ouragan vainqueur
    Au sein d’un naufragé pousse avec violence
    Le reste du vaisseau vers lequel il s’élance,
    Le malheureux soudain s’enfonce et s’engloutit ;
    Telle, au choc imprévu du nom qui retentit,
    Se brise de Raymond la dernière espérance.

    J. Lefèvre, Parisina.