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— Le colonel des brigands ! s’écria le vieux officier.

— Eh bien, mon brave Lory, reprit le railleur Randmer, a-t-on besoin de savoir l’exercice à l’impériale, quand on fait si bien manœuvrer sa mâchoire ?

— Baron Randmer, dit Bollar, vous avez le même caractère que d’Ahlefeld ; prenez garde d’avoir le même sort.

— J’affirme, s’écria le jeune homme, que ce qui m’amuse le plus, c’est le sérieux imperturbable du capitaine Bollar.

— Et moi, répliqua Bollar, ce qui m’effraie le plus, c’est la gaieté intarissable du lieutenant Randmer.

En ce moment un groupe d’officiers, qui paraissaient s’entretenir vivement, se rapprocha de nos trois interlocuteurs.

— Ah ! pardieu, s’écria Randmer, il faut que je les amuse de l’invention de Bollar. — Camarades, ajouta-t-il en s’avançant vers eux, vous ne savez pas ? ce pauvre Frédéric d’Ahlefeld vient d’être croqué tout vivant par le barbare Han d’Islande.

En achevant ces paroles, il ne put réprimer un éclat de rire, qui, à sa grande surprise, fut accueilli des nouveaux-venus presque avec des cris d’indignation.

— Comment ! vous riez ! — Je ne croyais pas que Randmer dût répéter de cette manière une semblable nouvelle. — Rire d’un pareil malheur !

— Quoi ! dit Randmer troublé, est-ce que cela serait vrai ?

— Eh ! c’est vous qui nous le répétez ! lui cria-t-on de toutes parts. Est-ce que vous n’avez pas foi en vos paroles ?

— Mais je croyais que c’était une plaisanterie de Bollar.

Un vieux officier prit la parole.

— La plaisanterie eût été de mauvais goût ; mais ce n’en est malheureusement pas une. Le baron Vœthaün, notre colonel, vient de recevoir cette fatale nouvelle.

— Une affreuse aventure ! c’est effrayant ! répétèrent une foule de voix.

— Nous allons donc, disait l’un, combattre des loups et des ours à face humaine !

— Nous recevrons des coups d’arquebuse, disait l’autre, sans savoir d’où ils partiront ; nous serons tués un à un, comme de vieux faisans dans une volière.

— Cette mort de d’Ahlefeld, cria Bollar d’une voix solennelle, fait frissonner. Notre régiment est malheureux. La mort de Dispolsen, celle de ces pauvres soldats trouvés à Cascadthymore, celle de d’Ahlefeld, voilà trois tragiques événements en bien peu de temps.

Le jeune baron Randmer, qui était resté muet, sortit de sa rêverie.