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de Walderhog ! les pierres y chantent, les os y dansent, et le démon d’Islande y habite ; ce n’est sans doute point à la caverne de Walderhog que votre courtoisie veut aller ?

— Si vraiment, répondait Ordener.

— C’est donc que votre courtoisie a perdu sa mère, ou que le feu a brûlé sa ferme, ou que le voisin lui a volé son cochon gras ?

— Non, en vérité, reprenait le jeune homme.

— Alors, c’est qu’un magicien a jeté un sort sur l’esprit de sa courtoisie.

— Bonhomme, je vous demande le chemin de Walderhog.

— C’est à cette demande que je réponds, seigneur. Adieu donc. Toujours au nord ! je sais bien comment vous irez, mais j’ignore comment vous reviendrez.

Et le paysan s’éloignait avec un signe de croix.

À la triste monotonie de cette route se joignait l’incommodité d’une pluie fine et pénétrante qui avait envahi le ciel vers le milieu du jour et accroissait les difficultés du chemin. Nul oiseau n’osait se hasarder dans l’air, et Ordener, glacé sous son manteau, ne voyait voler au-dessus de sa tête que l’autour, le gerfaut ou le faucon-pêcheur, qui, au bruit de son passage, s’envolait brusquement des roseaux d’un étang avec un poisson dans ses griffes.

Il était nuit close quand le jeune voyageur, après avoir franchi le bois de trembles et de bouleaux qui est adossé à la ravine de Dodlysax, arriva à ce hameau de Surb dans lequel Spiagudry, si le lecteur se le rappelle, voulait fixer son quartier général. L’odeur de goudron et la fumée de charbon de terre avertirent Ordener qu’il approchait d’une peuplade de pêcheurs. Il s’avança vers la première hutte que l’ombre lui permit de distinguer. L’entrée, basse et étroite, en était fermée, suivant l’usage norvégien, par une grande peau de poisson transparente, colorée en ce moment par la lumière rouge et tremblante d’un foyer allumé. Il frappa sur l’encadrement de bois de la porte, en criant :

— C’est un voyageur !

— Entrez, entrez, répondit une voix de l’intérieur.

Au même instant une main officieuse leva la peau de poisson, et Ordener fut introduit dans l’habitacle conique d’un pêcheur des côtes de Norvège. C’était une sorte de tente ronde de bois et de terre, au milieu de laquelle brillait un feu où la flamme pourpre de la tourbe se mariait à la clarté blanche du sapin. Près de ce feu le pêcheur, sa femme et deux enfants vêtus de haillons étaient assis devant une table chargée d’assiettes de bois et de vases de terre. Du côté opposé, parmi des filets et des rames, deux rennes