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loppe de fer qui vous empêche de prendre possession, oculis et manu, du trésor renfermé sans doute dans cette cassette. Quand il sera délivré de cette prison, il sera moins lourd à porter et plus aisé à cacher.

Déjà, armé d’une grosse pierre, il s’apprêtait à briser le couvercle du coffre, quand un rayon de lumière tombant sur le sceau de fer qui le fermait, arrêta tout à coup le concierge antiquaire.

— Par saint Willebrod le Numismate, je ne me trompe pas, s’écriait-il en frottant vivement le couvercle rouillé, ce sont bien là les armes de Griffenfeld. J’allais faire une grande folie de rompre ce sceau. Voilà peut-être le seul modèle qui reste de ces armoiries fameuses, brisées en 1676 par la main du bourreau. Diable ! ne touchons pas à ce couvercle. Quelle que soit la valeur des objets qu’il cache, à moins que, contre toute probabilité, ce ne soient des monnaies de Palmyre ou des médailles carthaginoises, il est certainement plus précieux encore. Me voici donc seul propriétaire des armes maintenant abolies de Griffenfeld ! — Cachons soigneusement ce trésor. — Aussi bien je trouverai peut-être quelque secret pour ouvrir la cassette, sans commettre de vandalisme. Les armoiries de Griffenfeld ! Oh oui ! voilà bien la main de justice, la balance sur champ de gueules. Quel bonheur !

À chaque nouvelle découverte héraldique qu’il faisait en dérouillant le vieux cachet, il poussait un cri d’admiration ou une exclamation de contentement.

— Au moyen d’un dissolvant, j’ouvrirai la serrure sans briser le sceau. Ce sont sans doute les trésors de l’ex-chancelier. — Si quelqu’un, tenté par l’appât des quatre écus syndicaux, me reconnaît et m’arrête, il ne me sera pas difficile de me racheter. — Ainsi, cette bienheureuse cassette m’aura sauvé…

En parlant ainsi, son regard se leva machinalement. — Tout à coup son visage grotesque passa en un clin d’œil de l’expression d’une joie folle à celle d’une terreur stupide. Tous ses membres tremblèrent convulsivement. Ses yeux devinrent fixes, son front se rida, sa bouche demeura béante, et sa voix s’éteignit dans son gosier, comme une lumière qu’on souffle.

En face de lui, de l’autre côté du foyer, un petit homme était debout, les bras croisés. À ses vêtements de peaux ensanglantées, à sa hache de pierre, à sa barbe rousse, et à ce regard dévorant fixé sur lui, le malheureux concierge avait reconnu du premier coup d’œil l’effrayant personnage dont il avait reçu la dernière visite au Spladgest de Drontheim.

— C’est moi ! dit le petit homme d’un air terrible. — Cette cassette t’aura sauvé, ajouta-t-il avec un affreux sourire ironique. Spiagudry ! est-ce ici le chemin de Thoctree ?